QUEER GUEST est une série d’articles issue de le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.
« Je suis né en Espagne dans les années 1970 donc j’ai grandi dans la culture des années 1980. Je me sentais comme un enfant non-binaire, c’était difficile de me retrouver à l’écran. Par contre, on se projette, on recodifie les images que l’on regarde d’un point de vue subalterne ou dissident, même si elles ne sont pas en elles-mêmes queer.
Vers 10-11 ans, j’ai vu un film qui s’appelle Perros Callejeros [de José Antonio de la Loma, sorti en 1977 en Espagne et inédit en France, ndlr], ça veut dire « chiens de la rue ». Ça fait partie d’un genre du cinéma espagnol qu’on appelle quinqui, qui porte beaucoup sur la masculinité des adolescents dans la périphérie des grandes villes dans les années 1970/80. Ça montrait une forme de masculinité dissidente, ce n’était pas celle qu’on voyait d’habitude. C’était un peu des cailleras, des garçons qui étaient dans la drogue, dans la petite criminalité, qui finissaient souvent en prison. Ces films ont été très importants pour moi. Je m’identifiais à ce genre de garçons, alors que ce n’était pas du tout mon milieu. Peut-être parce que c’était une forme de masculinité non-normative, en échec, très surveillée. C’était bien avant que je voie un film gay, lesbien, queer ou trans.
Quelques années plus tard, j’ai vu un autre film qui ne doit pas être connu en France non plus, appelé Calé [sorti en 1987 en Espagne et inédit en France, ndlr]. C’est une histoire d’amour entre une femme gitane et une autre qui ne l’est pas, jouée par Rosario Flores, la fille de Lola Flores. Désolé, je vous donne des références inconnues en France mais très importantes dans la culture espagnole de l’époque ! C’était donc une histoire d’amour lesbienne, ça m’avait marqué parce que c’était la première fois que je voyais un baiser entre deux femmes. Et ce n’était pas seulement une question d’orientation sexuelle et de genre, mais le fait que ça soit une femme gitane avec une femme non-gitane. C’est resté très important dans ma mémoire.
Perros callejeros de José Antonio de la Loma (1977)
Et puis il a eu Cambio de sexo [de Vicente Aranda, sorti en 1977 en Espagne et seulement le 23 novembre dernier en salles en France, ndlr], ce qui veut dire « changement de sexe », dans lequel Victoria Abril – très jeune, elle devait avoir une vingtaine d’années – joue le rôle principal, celui d’une femme trans. Ce qui est très intéressant, c’est qu’au début du film, elle est habillée en garçon pour interpréter la partie de sa vie où elle était assignée garçon. De manière étrange, c’est comme si je m’étais identifié à Victoria Abril dans cette idée qu’elle joue une femme trans habillée en garçon. Je ne suis pas une femme trans mais c’est une histoire de transition. En même temps, tous les films dont je vous parle sont très violents. Les corps queer, les corps trans, y sont totalement subalternes, l’objet d’un regard normatif.
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Cambio de sexo de Vicente Aranda (1977)
Après, j’ai aussi vu à l’adolescence des films issus de la culture pop et provenant des Etats-Unis qui ont été importants pour moi. Yentl [de Barbra Streisand, sorti en 1984, ndlr], dans lequel Barbra Streisand se déguise en garçon pour pouvoir faire des études pour devenir rabbin. C’était une histoire qui me parlait à l’époque parce que j’étais dans une culture catholique très stricte, je m’identifiais sans doute à ça aussi, au fait d’être dans une culture où les normes de genre et de la sexualité sont vues par un prisme religieux.
Et Tootsie [de Sidney Pollack, sorti en 1983, ndlr], évidemment, dans lequel le changement de sexe et l’idée du travestissement sont ridiculisés, mais pour moi c’était un choc de voir des films comme ça entouré de personnes cis, non-trans, et de rigoler ensemble. Alors que moi, au fond, de manière indirecte, je m’identifiais au personnage de Tootsie. »
Dysphoria Mundi de Paul B. Preciado, 592 p., 25e, Grasset
Image de couverture : Perros callejeros de José Antonio de la Loma (1977)