QUEER GUEST · Jordan Firstman : « J’ai dit que j’étais gay à tout mon entourage à 12 ans, trois jours après l’avoir compris. »

On a demandé à des figures queer d’âges et d’horizons différents de nous parler des premières images, vues au cinéma ou à la télévision, qui ont fait battre leur petit cœur queer. Aujourd’hui, l’acteur, scénariste et influenceur Jordan Firstman, à l’affiche du survolté et malin « Rotting in the sun » de Sebastián Silva qui débarque sur Mubi aujourd’hui.


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QUEER GUEST est une série d’articles issue de  le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.

« La première image, c’était dans l’émission The Real World : Philadephia [équivalent de Loft Story ; la saison dont parle Jordan Firstman a été diffusée de septembre 2004 à mars 2005 sur MTV, ndlr]. Il y avait un personnage gay nommé Willie. Dans un épisode, il ramène un mec dans la maison, et ils sont filmés en train de prendre une douche ensemble, ils se shampouinent mutuellement les cheveux. C’était de loin le truc le plus érotique que j’avais vu de ma vie. Un peu avant, un de mes amis était allé dans une colo avec un type de 12 ans qui était déjà, à cet âge-là, une vrai slut sur MySpace. Il avait une photo de ses abdos en profil pic. J’étais à fond sur lui mais à l’époque, j’étais là : « Ah ouais, j’aime bien d’un point de vue esthétique, mais je suis grave hétéro ». J’ai regardé récemment ce qu’était devenu Willie de Real World, je crois qu’il est devenu accro à la meth et qu’il en est mort, ou en tout cas qu’il est mal en point.

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Le casting de The Real World : Philadelphia (Willie est au centre, en rose)

J’ai fait mon coming-out à 12 ans. J’ai dit que j’étais gay à tout mon entourage trois jours après l’avoir compris. C’est jeune mais je n’ai jamais rien réussi à garder pour moi – je crois que c’est assez clair maintenant, vu la manière dont je m’expose sur les réseaux. J’ai 32 ans, je ne suis pas né avec Internet mais j’y ai eu accès à partir de mes 10 ou 11 ans. Ça m’a permis de voir du porno en cliquant sur les petites fenêtres qui s’affichaient dans les coins et en patientant le temps hyper long des chargements.

J’ai l’impression que la plupart des hommes gays ont une obsession pour les icones féminines, ce qui n’est pas trop mon cas. J’ai toujours été plus intéressé par les hommes et le sexe avec eux. Parmi les images qui m’ont marqué à l’adolescence, il y avait bien sûr les pubs Abercrombie & Fitch, c’était un sacré truc pour tous les gamins homos à l’époque. Ils avaient un parfum, Fierce, qui marchait super bien, tous les mecs mignons le portaient. L’an dernier, j’ai recommencé à en mettre. Les hommes de mon âge n’identifient pas le parfum mais sont genre : « Attends, c’est quoi déjà cette odeur ? » Ça vient toucher une partie primitive de leur cerveau.

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Vers 14 ans, je faisais du théâtre communautaire, je me suis fait une amie, Alana, qui m’a fait découvrir la série Queer as folk, la version originale. Elle planquait des versions piratées des DVD chez ses parents, alors qu’elle était hétéro – je me demande si elle l’est toujours, elle m’a toujours semblée un peu lesbienne, je vais me renseigner. Donc j’ai regardé des épisodes et ça m’a semblé dingue, je n’avais aucune idée d’à quoi ressemblait la vie gay. Ah ! J’étais obsédé aussi par Stephen Sondheim, le metteur en scène de comédies musicales. Avec mes potes, on était vraiment des losers, on s’échangeait des potins sur lui. J’avais entendu dire qu’il avait un donjon du sexe dans sa cave, dans son appart à New York. Un vrai pervers.

J’ai longtemps cherché à changer la représentation des gays à travers mon travail, mais ce n’est plus le cas maintenant. A la base, je ne faisais ça que pour les gays, je ne me suis jamais senti en mission de « normaliser » ça pour les hétéros. Ils pensent ce qu’ils pensent. Même si l’homophobie est encore très répandue et vivace, ça ne me ressemble pas, je ne serai jamais quelqu’un qui va se battre pour les droits LGBT, même si c’est hyper important. Je trouve juste qu’il y a des gens bien meilleurs que moi pour faire ça.

Bref, je me suis donc toujours plutôt adressé aux gays. Comme je n’ai jamais trouvé qu’il y avait de bonnes représentations gays, à part quelques films comme Weekend d’Andrew Haigh [2012, ndlr], j’ai essayé d’en faire pendant toute ma vingtaine. Evidemment, ça ne voyait jamais le jour parce que les hétéros disaient sans cesse « non » à mes projets. Et puis, quand j’ai eu plus de succès et que j’ai vu comment les gays agissaient avec moi, j’ai compris que ce n’est pas ce qu’ils veulent voir. Ils ne veulent pas avoir des représentations réalistes. Je me suis dit que ça ne valait pas la peine de bosser si dur pour faire des représentations plus profondes si ça n’intéressait même pas les premiers concernés. Mais avec Rotting in the Sun, j’ai l’impression que les gays peuvent quand même se sentir représentés. Peut-être que le fait que je n’ai pas écrit et réalisé le film va faire réagir la communauté différemment, qu’ils se sentiront mieux. »