QUEER GUEST est une série d’articles issue de , le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.
« Quand j’avais 12 ans, je vivais à New York et j’allais souvent à la salle de ciné du coin, un movie palace [une grande salle richement décorée, construite entre les années 1910 et 1940, ndlr]. Je devais m’installer dans la zone pour enfants mais j’arrivais à infiltrer discrètement la salle des adultes. C’est comme ça que je suis tombé sur Jason et les Argonautes [de Don Chaffey, sorti en 1963, ndlr]. Je me rappelle d’images incroyables avec des hommes à moitié nus ramant pour faire avancer un énorme bateau. C’était tous des bombes, que des Hollywood extras [des figurants réguliers des grosses productions de l’époque, ndlr]. Ça m’avait fait une forte impression mais je ne comprenais pas pourquoi. Je ne l’ai jamais revu, je crois que le film est un peu nul en fait.
Jason et les Argonautes de Don Chaffey
La première image queer que j’ai vue, c’était à la télé – elle a toujours été précurseuse par rapport au cinéma. C’était dans la série The Defenders [diffusée sur CBS de 1961 à 1965, ndlr] sur des avocats. Dans un épisode, un des avocats tombe amoureux de son client, qui est en prison. Ce n’est jamais dit explicitement, mais le sous-entendu homo est évident. J’étais ado à l’époque, je n’en ai pas parlé à mes parents mais j’aurais pu, ma mère aurait sans doute été compréhensive. Elle était actrice, elle avait des amis gays, on faisait des dîners avec eux. Mais je ne m’y suis jamais identifié. En fait, je ne voulais pas leur ressembler, j’avais peur du genre de gay que je pouvais devenir… C’était un vrai tabou pour moi.
J’ai commencé à avoir des relations sexuelles avec des hommes à 18 ans, mais je n’ai fait mon coming-out qu’à 21 ou 22 ans, d’abord en tant que bisexuel – c’est assez cliché. C’est dur d’imaginer un temps avant Internet, quand certaines représentations et les images n’existaient tout simplement pas. Quand j’étais ado, c’était impossible de voir une image d’homme nu, c’était très caché. On pouvait mettre la main sur un magazine Playboy mais c’était des images de femmes, pas du tout réalistes d’ailleurs. Leur sexe était retouché comme ceux des Barbie… Et on ne voyait jamais un homme. Je me souviens des revues de sport, avec des mecs qui posaient en jock straps, c’était d’autant plus excitant que c’était les seules images qu’on pouvait voir. Les gars faisaient de la lutte plutôt que du sexe. C’était à destination des adultes gays mais sans le dire ouvertement, il n’y avait pas d’équivalents gays de Playboy.
Dans ma vingtaine, je me souviens que Cabaret [de Bob Fosse, ndlr] a été le premier film que j’ai vu centré sur un homme non-hétéro. C’était en 1972, j’avais donc 21 ans. Le film a été une révélation pour moi. Ce héros bisexuel m’a permis de me dire que peut-être ce que je ressentais était ok. Que j’allais peut-être réussir à me trouver une identité attirante, pas repoussante.
Cabaret de Bob Fosse
Avant, j’avais pu voir des représentations qui m’avait mis mal à l’aise, des hommes très efféminés, ça activait ma misogynie et mon homophobie internalisées. Il y en avait énormément à la télé, et j’ai découvert que c’était le cas au cinéma aussi en faisant The Celluloid Closet [sorti en 1996, ce documentaire de référence est adapté d’un essai du même titre publié par Vito Russo en 1981 et a remporté un Teddy Award à la Berlinale, nldr].
C’était des films que je n’avais pas vus en grandissant, heureusement. Comme mes parents étaient progressistes et politisés, ils me montraient beaucoup de films étrangers. J’ai donc pu voir quelques images que je trouvais super sexy dans ces films, même si ce n’était pas gay. D’une certaine manière, ça a rendu le sexe moins effrayant à mes yeux.
J’ai commencé ma carrière en tant qu’assistant-monteur pour le cinéma. J’évoluais dans un monde très hétéro et assez homophobe. J’étais dans le placard à cause de ça. Un jour, un ami activiste m’a emmené voir un documentaire en me disant que j’en avais besoin. Ça s’appelait Word Is Out [Parlons-en, sorti en 1979 en France, ndlr]. C’était le premier documentaire sur des homos faits par des homos. Vingt-six portraits de gays et de lesbiennes des Etats-Unis, certaines personnes seules et d’autres en couple, d’âges et d’horizons différents, de grandes ou de petites villes. C’est un excellent film. En tant qu’aspirant réalisateur, ça m’a beaucoup impressionné. Pas seulement par les gens représentés, mais aussi le fait que ça soit faits par des personnes gays. Je me suis dit que je devais absolument les rencontrer.
Word Is Out de Nancy Adair, Andrew Brown et Rob Epstein
Le film a été fait par un collectif de San Francisco [le Mariposa Film Group, ndlr]. Je me suis fait une note à moi-même en me disant que je devais les chercher si j’allais sur la côte Ouest. J’ai dégoté le nom de quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui avait bossé sur le film. Quand je suis allé à San Francisco, j’ai réussi à les trouver. Un des réalisateurs étaient Rob Epstein, c’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Il commençait à travailler sur The Times of Harvey Milk [sorti en 1984, ndlr], je me suis mis à plancher dessus avec lui. J’étais assistant-monteur sur des films comme Raging Bull [de Martin Scorsese, 1981, ndlr], j’acquérais pas mal d’expérience professionnelle et Rob avait des méthodes plus rudimentaires. J’étais heureux de pouvoir lui offrir mon expertise. On s’est très bien entendus et on a décidé de travailler ensemble [ils ont cosigné une dizaine de films, ndlr]. On est actuellement en développement d’un film sur Peter Hujar, le photographe des années 1970 [célèbre pour ses portraits en noir et blanc et ses photos porno, ndlr]. »
Image de couverture : Cabaret de Bob Fosse