Queer Gaze est de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+.
« Je ne me reconnais pas dans la binarité homo/hétéro, j’aime brouiller les codes, passer la frontière des genres et des sexualités, bref : la fluidité. J’ai donc du mal à trouver un film « phare » découvert dans l’enfance, ça serait sans doute plus facile aujourd’hui. J’ai souvenir d’avoir particulièrement apprécié des films un peu décalés, notamment dans la transgression des normes de genre. C’est-à-dire pas forcément des films identifiés comme LGBT, mais par exemple avec des personnages de femmes fortes. Ce qu’on appelle aujourd’hui le « female gaze » – à l’époque, je ne l’avais pas identifié comme tel, je ne connaissais pas l’expression car je n’avais pas lu Laura Mulvey. Et maintenant, je considère qu’il peut y avoir du male gaze dans un film de femme et du female gaze dans un film d’homme.
Laura Mulvey, quelle cinéphile es-tu ?
J’ai été marquée par des films avec des femmes d’action, qui n’étaient pas juste l’objet des mecs. J’ai un souvenir assez lointain de Pas très catholique de Tonie Marshall [sorti en 1994, ndlr], avec le personnage joué par Anémone, transgressif à tous points de vue – à commencer par le fait qu’elle a un prénom masculin, Maxime. C’est une comédie très grand public à la base, Anémone joue une détective privée, elle a un fils qu’elle a clairement abandonné. C’est un peu un pastiche des films noirs à la Bogart. D’habitude, c’est un rôle de mec. Là, c’est une femme d’action, qui n’a pas du tout la fibre maternelle. Donc à l’opposé de l’image de la mère de famille bien sous tous rapports. Elle n’est pas du tout politiquement correcte. Elle est bisexuelle, elle a des relations avec des mecs mais elle couche aussi avec une femme jouée par Christine Boisson. C’est quelqu’un de très libre.
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Pas très catholique de Tonie Marshall, 1994
Dans le genre film libertaire, je voudrais citer aussi La Fiancée du pirate de Nelly Kaplan [1969, ndlr], qu’on a montré en juin en partenariat avec le Festival de Films de femmes de Créteil. Le personnage joué par Bernadette Lafont dépote, face à elle, les mecs n’ont qu’à bien se tenir ! Elle se venge de toutes les humiliations qu’elle a pu subir de la part des villageois. Elle couche aussi avec une femme alors qu’elle n’est pas spécialement lesbienne… Il y a eu aussi Victor, Victoria de Blake Edwards [1982, ndlr], bien entendu. Sur les questions de la performance de genre notamment – enfin à l’époque je ne théorisais pas ça comme ça, j’étais gamine, je devais avoir une dizaine d’années quand je l’ai vu. L’histoire d’une femme qui se travestit en homme qui se travestit en femme… C’est ce genre de films qui me parlaient.
Le film qui a inauguré le 7e genre, et qui pour moi incarne ce que je voulais faire avec le ciné-club, c’est La Meilleure façon de marcher de Claude Miller [1976, ndlr], que j’ai découvert ado. Un film populaire avec des comédiens très connus, Patrick Dawaere, Patrick Bouchitey et Christine Pascal qui a un très beau rôle, et qui abordent beaucoup de sujets. La transgression des normes de genre, le travestissement, la masculinité toxique, l’homosexualité refoulée, le sadomasochisme…
J’ai découvert tous ces films à la télé, en « films du dimanche soir » avec mes parents. J’ai grandi dans le Nord, à la campagne, près de Lille. Ma cinéphilie a commencé grâce à la télé et au magnétoscope familial, et en écoutant « Le Masque et la Plume » sur France Inter. Plus tard, quand j’étais étudiante, j’ai vu des films comme My Beautiful Laundrette de Stephen Frears [1986, ndlr], que j’aime énormément. Ou Pourquoi pas ! de Coline Serreau [1977, ndlr]. C’est un trouple, une femme avec deux hommes, non pas un homme avec deux femmes, ce qu’on voit traditionnellement. Ça parle de bisexualité, de liberté sexuelle, d’homme au foyer. Je me rends compte que les films qui me plaisaient, c’était souvent des comédies.
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Pourquoi pas ! de Coline Serreau, 1977
A la fac, j’ai participé à des ciné-clubs dans le Quartier Latin et à l’université de Cergy-Pontoise, quand j’étais à l’Essec – je passais le moins de temps possible sur le campus, je ne me sentais pas du tout à ma place dans cet univers aux antipodes de mes origines et de ce que je souhaitais faire de ma vie -, et j’avais adoré l’aspect débat après la projection. Maintenant, les ciné-clubs sont revenus à la mode, mais il y a eu un énorme trou. En 2013, quand j’ai créé le 7e Genre, c’était encore un peu ringard. Pour faire venir les gens, je me suis dit qu’il fallait une ligne éditoriale claire. L’idée n’était pas de faire un ciné-club LGBT mais plus large, qui questionne les genres et les sexualités minoritaires. Le sous-titre du 7e genre, c’est « le ciné-club qui défie les normes et explore les marges ». Je voulais dès le départ ouvrir au maximum les horizons, le champ des possibles.
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A l’époque, j’avais déjà écrit le livre sur L’homosexualité au cinéma avec Didier Roth-Bettoni [ouvrage de référence sur le sujet, paru en 2007, éd. La Musardine, ndlr], je travaillais pour Têtu depuis quelques années et j’avais déjà fait quelques séances de cinéma de patrimoine pour Chéries-Chéris qui avaient bien marché. Les gens m’avaient dit « pourquoi ne pas faire ça toute l’année ? » Je suis passionnée d’histoire du cinéma, d’archives. Ça permet de recontextualiser un film, de réfléchir à sa réception à l’époque de sa sortie et aujourd’hui, de revisiter un film. L’objectif n’est pas une analyse esthétique, on est plutôt dans ce qu’on appelle aujourd’hui les cultural studies : remettre dans un contexte historique, politique, économique, sociologique, et revisiter les perceptions de l’histoire du cinéma en débat. On a fêté nos 10 ans en avril 2023 avec plein d’événements. On a décidé de faire une pause du ciné-club régulier au Brady, mais on se fait inviter ailleurs. On reprendra au Brady en 2024 mais de manière plus ponctuelle pour pas se mettre trop la pression. »
: Retrouvez toute la programmation en partenariat avec le 7eGenre au festival Chéries-Chéris (du 18 au 28 novembre aux mk2 Bibliothèque, Quai de Seine et Beaubourg) ici.