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QUEER GAZE · « Marie-Antoinette, banlieusarde suprême » par Nana Benamer

  • Timé Zoppé
  • 2023-05-16

Cette semaine, carte blanche à Nana Benamer, géniale actrice que l’on a pu voir chez Alexis Langlois (« De la terreur mes sœurs », « Les Démons de Dorothy ») et qui s’apprête à jouer dans son premier long métrage en tournage cet été, « Les Reines du drame ». Celle qui est aussi serveuse a répondu à notre invitation avec un billet doux adressé au « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola (2006), qui a aimanté son imaginaire d’ado queer banlieusarde - et l’infuse toujours.

Queer Gaze est la rubrique de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+.

Du même âge que la dauphine, l’adolescente de banlieue, enfermée dans sa cité et la dauphine coincée dans un château. Elle regarde à travers la Windows XP le dvd de Marie Antoinette par Sofia Coppola. Comme dans un miroir embellisseur, elle s’y voit, en jolie. Elle passe de l’Autriche à la France, de l’enfant à l’adulte aussi, abruptement sous le regard de tous, déshabillée des mains, des yeux et de tous les membres, de sa famille, de sa société. Interdite d’enfance, sexualisée sur le champ. Dans la forêt, une espèce de scène de viol incestueux consenti par la mère Reine, Marianne Faithfull qu’elle voudrait en mère remplaçante, exécutée par Madame l’Etiquette. Les vêtements tombent, les cheveux partent des épaules et la voilà raide et perdue, bien que trop entourée, au petit matin. Elle sent que cette forêt est familière, que ce n’est pas l’Amérique qui est filmée mais la banlieue parisienne qui est filmée comme l’Amérique, embellie elle aussi, la banlieue sous un nouveau jour, à l’aspect plus doux qu’en vrai. Ce film la console d’être banlieusarde, enfin du rock anglais pour remplacer le rap obligatoire de grande couronne, enfin du baroque pour contrer les berceaux modernistes de la ville dortoir, enfin des carlins pour remplacer les pigeons, enfin la banlieusarde a droit aux jolies choses. À elle, tous les personnages encadrés de poudres, encadrés de satin, encadrés de dentelles, encadrés de plumes, encadrés de fleurs, encadrés de miroirs, encadrés de cadres dorés, encadrés de ciel bleu, encadrés de shoegaze duveteux en halo de parfum capiteux. Elle regarde ce film en exultant, comme si elle jouait à la poupée interdite à cause de son sexe par les convenances socio culturelles. Elle joue à la poupée sans poupée dans sa chambre, ça y est, en regardant du cinéma, au nez et à la barbe de tout le monde. Elle bronze devant l’ordinateur, sous les couleurs pastel qu’elle n’a pas le droit de porter dans la vie. Voilà, la catharsis n’est pas sanglante, pour elle la catharsis est pastel. Pastel aussi comme des polaroids impressionnistes parfois, ces peintures baroques qui se succèdent dans l’ordinateur : cette fois où Marie-Antoinette est en Olympia de Manet sans esclave, en reine pute qui défie l’objectif. Là encore l’adolescente est touchée au ventre, nourrie par la ville d’Argenteuil à grandes louche d’impressionnisme flou, l’orgueil unique de quelques communes périphériques. Impression Reine non, Impression Pute oui, elle l’entend tous les jours sur son trajet, qui sort des buissons, mêlés aux chants d’oiseaux, Salope de même au bout du chemin, et Pédé derrière un arbre pendant qu’elle marche sur des œufs en tremblant, comme elle tapine pour obtenir les miettes de respect de sa propre caste pourtant. Dans le courant du film, il n’y pas de grands dialogues, juste des petites conversations qui volent autour de la protagoniste, bouche fermée quasiment tout le temps, mais nuque droite quasiment tout le temps, des nuées d’insultes sans cesse, qui diffusent son existence. La comtesse de Provence a accouché. Marie-Antoinette non. Comme elle, elle aurait voulu pleurer en plongée sur une caméra épaule inquiète, sa dissidence sexuelle subie, des pivoines au creux de ses boucles pâles, drapé d'une robe en taffetas de soie, contre un mur en brocart, mais elle se contente d’un papier peint bleu, d’une webcam et de cheveux noirs très mal lissés. D’ailleurs ils lui reprochent la hauteur de ses cheveux en plus de lui reprocher le sexe. Ils lui reprochent tous le corps à elle qui est pourtant si vierge. Ils reprochent à la vierge de s’habiller toujours plus, quel paradoxe. Ils la scrutent de très près en frissonnant on est des fois dans leurs yeux, ils lui courent après, lui tournent autour, caméra épaule encore, c’est 2006 le formalisme télé réalité est en vogue, même à Versailles. C’est ce frisson qui la touche aussi, dans ce film historique qui ressemble si souvent à un simple journal intime écrit en calligraphie rose très ronde et tâchée, essaimé de publicités de parfums à peine collés d’adolescente overdosée au romantisme absent. Comme un tableau, un film, comme une longue pub de parfum, un film, comme un tableau. Le cœur de cette autre impression, d’odeur de luxe cette fois, hespéridée est nichée dans cette scène d’after d’anniversaire à l’aube dans le jardin du château, elle aime les images de rêve du grand capital, elle apprendra plus tard que les afters ne ressemblent pas à ça et que la fête est constamment finie à perpétuité, mais elle croit encore à cette image aujourd’hui. En 2023, quand elle sort masquée de sa cité pour prendre une voiture incognito vers Paris pour l’amour de l’ivresse de ne plus avoir de nom afin de se souler d’invisibilité, elle se regarde parfois depuis l’extérieur du taxi, le front contre la vitre façon Sofia Coppola, la tête certainement barrée des lumières de l’A86 en travaux. En général ce n’est pas « Fools Rush In » mais la radio éteinte en bande originale de son voyage, elle s’en satisfait. Une fois rentrée, amoureuse toute seule en pâmoison, elle le sera plus tard, une fois entrecoupée. Robe en soie sur draps de soie, quatre poses d’extases seule sur le lit, façon hystérique en attitude passionnelle, tellement patiente de Charcot. C’est tout ce qu’elle veut voir. Si elle pouvait garder cette scène dans sa poche de jean pour l’avoir toujours sur elle, elle le ferait. 

Marie Antoinette en nymphe rose, les cheveux emmêlés de fleurs qui vient en courant suspendre le bal pour les soldats américains au garde à vous, est le but de sa vie. Elle aspire aussi à un très long métrage de satins pastel qui volent et traînent au ras du sol sans cesse en travelling avant jusqu’à la mort.

Marie-Antoinette, Banlieusarde Suprême.

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