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Pierre Lottin : « J’aimerais bien être le Taylor Swift du cinéma français »

  • Renan Cros
  • 2024-11-21

[PORTRAIT] Le cinéma risque d’avoir du mal à faire tenir Pierre Lottin dans une case. Le comédien navigue à l’instinct entre le burlesque fou des Tuche, le polar inquiétant (le dernier François Ozon, Quand vient l’automne) ou l’émotion fine d’En fanfare, en salles le 27 novembre.

« Désolée, je vous avais pris pour quelqu’un d’autre… Mais vous êtes connu, non ? » Pierre Lottin a 35 ans et quelque chose en plus. C’est comme ça, quand on le croise, on le remarque. Un air de cinéma qui fait que les dames âgées l’arrêtent dans la rue, tandis qu’on allait s’installer pour discuter. « Vous devez vous tromper, non », répond-il d’un sourire fuyant. La célébrité, ce n’est pas son truc. La peur de se prendre trop au sérieux, sûrement.

« Normalement, je préfère le mot comédien à acteur. Acteur, y a un truc trop sûr de soi. Mais je sens bien que je suis en train de devenir un acteur. Je suis en train de devenir chiant. On est chiants, les acteurs. On a un secret qui fait qu’on est chiants. Mais je ne peux pas vous dire quoi. C’est un secret. »

Pierre Lottin, on ne sait jamais s’il est tout à fait sérieux. L’œil rieur, les mots précis, l’acteur – donc – a le rythmé inné des meilleurs punchliner. « La connerie », comme il le dit, c’est son truc, le moyen qu’il a trouvé, ado, pour se faire accepter et aimer – même s’il prétend aujourd’hui avoir perdu son sens de l’humour. « Les acteurs, c’est une race douce de psychopathes, nous explique-t-il très sérieusement. Tout vient de l’enfance. À l’insu de tous, ils ont développé une façon de faire semblant, de se mêler aux autres, pour exister. Un acteur, ça observe et ça reproduit. »

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C’est peut-être donc dans l’enfance qu’il faut chercher son sens de l’incarnation, la façon si forte qu’il a d’habiter l’écran. Petit ami dangereux dans La Nuit du 12 de Dominik Moll (2022), fils mal-aimé dans la série De grâce (diffusée sur Arte en 2024), rappeur improbable qui rêve d’Amérique dans la saga Les Tuche (dont le cinquième opus est prévu pour 2025) et aujourd’hui tromboniste taiseux dans En fanfare d’Emmanuel Courcol, Pierre Lottin joue des mecs à la marge – qu’ils soient drôles, terrifiants ou bouleversants. Un goût qui lui vient peut-être de deux de ses idoles : Jim Carrey et Albert Dupontel. Deux acteurs dont le jeu tangue entre l’inquiétude et l’émotion, deux as de la démesure.

« Ce que j’aime chez eux, c’est que tout passe par les extrêmes. Ils se donnent totalement. Ils ne réfléchissent pas. Ils jouent avec ce qu’ils sont. Pour moi, l’Actors Studio, où il faut vivre comme son personnage et prendre des leçons de je-ne-sais-pas-quoi, c’est du bullshit. Je ne vais pas me faire des potes, mais De Niro, il a beau avoir conduit un taxi pendant des mois, dans Taxi Driver, je n’y crois pas. C’est l’instinct qui fait le jeu, pas le fait de se regarder jouer. »

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Quand on lui parle de son jeu à lui, de l’émotion subtile qu’il arrive à provoquer, notamment dans une longue scène de voiture où son personnage craque dans En fanfare, il hausse les épaules et balaie le compliment d’une réplique qui fait mouche : « C’est mon boulot. Je ne sais faire que ça. Ce serait con de se rater. » Forcément, on sourit. Il enchaîne : « Après, ça consiste surtout à apprendre un texte. Le reste, c’est être à l’écoute. Ce n’est pas la peine de faire tout un bla-bla. Soit t’as chopé le perso. et alors tout est en place. Sois-tu fais semblant et ça se voit.

À l’écouter s’élancer dans ses explications en remuant frénétiquement son café, on sent bien surtout que, chez lui, tout est une affaire de rythme. De syncope ou de symbiose. Trouver l’accord ou la dissonance de chacun de ses personnages. Pianiste depuis son plus jeune âge, Pierre Lottin aime autant Franz Liszt et Franz Schubert que le néo-métal de Korn ou de System of a Down, le rap de Nas et de Tribe Called Quest ou le grunge de Nirvana. Quand on lui fait remarquer que c’est éclectique, il sourit et nous rembarre : « On peut être plein de trucs à la fois. »

Pourtant, il le dit, il sait que le grand public le connaît surtout pour Les Tuche et que ce personnage bizarre dont il a inventé spontanément la voix nasillarde lui colle à la peau. Il en a fait une sorte de label, la preuve qu’il pouvait marcher dans les pas des grands acteurs comiques qui le fascinaient petit. Mais tout de suite, il nuance, s’excuse, « tout ça, ce n’est pas important ». Seul le travail compte, le plaisir qu’on peut y prendre.

Et il est déjà dans la suite. Il s’attaque en ce moment avec sa compagne, Melissa Izquierdo, stand-upper, à l’écriture d’une comédie qu’il voudrait réaliser. L’histoire de Jojo, « un mec qui veut tout faire pour devenir samouraï ».

Quand on lui demande qui il admire aujourd’hui, la réponse est à son image : étonnante, drôle et percutante. « Moi, j’aimerais bien être le Taylor Swift du cinéma français. C’est une fille qui va tout droit, qui a toujours cherché à être en accord avec elle-même. Elle ne cherche pas à plaire. Il y a un truc honnête, chez elle. Si tant est qu’on puisse être honnête quand on est milliardaire. Mais quand même… ça se voit qu’elle bosse. Je veux bien qu’on dise ça de moi. » C’est noté.

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