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Portrait: Hafsia Herzi, désir ardent

  • Laura Pertuy
  • 2019-09-10

Avec La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche en 2007, son premier rôle au cinéma, Hafsia Herzi amorçait une carrière pétrie de liberté, celle du corps comme celle du cœur. En 2019, l’insatiable Marseillaise était à l’affiche de Tu mérites un amour, sa première réalisation, lumineuse réflexion sur le désir et les sentiments, à revoir sur Arte ce mercredi 27 avril, à 22:35. L'occasion de relire cet entretien réalisé à l'époque, dans lequel l'actrice nous confiait son irrépressible besoin de création, nourri par douze années de rôles frondeurs.

Silhouette estivale au sourire empreint de malice, Hafsia Herzi passe la porte de La Vielleuse à Belleville, décor fugace de son premier long métrage, et nous tutoie sans ambages. La fougue et l’hédonisme que cette passionnée de poésie et de peinture avait insufflés à son personnage dans La Graine et le Mulet, au détour d’une scène de réjouissance culinaire puis d’une danse sensuelle, ne l’ont pas quittée. Un talent qui lui a permis de glaner un César du meilleur espoir féminin dans la foulée, alors qu’elle n’avait au préalable fait qu’un brin de figuration et poursuivait des études de droit à Marseille, où elle a grandi. «Je sais exactement ce que je veux. Si je ne ressens rien, la scène est fichue ; les choses ne fonctionnent que si l’on s’abandonne, si l’on a confiance», assène-t-elle sans ciller.

Sensible à la vérité dans l’écriture et fuyant les rôles sans imagination, elle se frotte ensuite à des lectures décalées du monde (Française de Souad El-Bouhati, en 2008; Le Roi de l’évasion d’Alain Guiraudie, en 2009) et assoit son insoumission, tant dans le relief des personnages qu’elle incarne que dans le chemin qu’elle se trace avec sérieux et obstination (La Source des femmes de Radu Mihaileanu ou L’Apollonide. Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello, tous deux en 2011). En 2017, elle incarne Amel – photographe tunisienne qui capture l’intimité tantôt pudique, tantôt exaltée d’hommes rencontrés dans la rue – dans le sensible L’Amour des hommes de Mehdi Ben Attia. L’actrice y livre une performance habitée de passion et de douleur, qui rappelle la démarche de Frida Kahlo. C’est d’ailleurs d’un poème de l’artiste mexicaine qu’Hafsia Herzi a tiré le titre de son premier long, Tu mérites un amour, autant inspiré par ses rôles de femmes dessinées dans leur droit inaliénable à la séduction et à l’amour libre que par ses propres observations.

SANS FARD

Dépeignant avec verve une trentenaire inconsolable d’une rupture, Tu mérites un amour scande ses vers comme un (r)éveil. «Je suis partie de ma propre incapacité à comprendre les relations hommes-femmes et j’ai enquêté sur le chagrin d’amour, récolté des témoignages sur ces histoires dont on a l’impression de ne jamais pouvoir se remettre. Je trouvais que ce thème était entouré de pudeur, qu’il n’était pas vraiment abordé de manière frontale dans les films français. Oui, les femmes ont du désir, font l’amour sans lendemain, parlent de sexe…», confie-t-elle dans un regard qui navigue entre curiosité enfantine et vague mélancolie. Elle se lance un matin de juillet 2018 et achève le tournage en cinq semaines, avec une équipe constituée au gré des rencontres. «Le film s’est fait grâce à la motivation d’un groupe de passionnés, de décors qu’on nous a prêtés gratuitement, de cette énergie invisible qui m’a poussée.»

Il rappelle par touches le cinéma d’Abdellatif Kechiche, dont l’approche réaliste et la façon de travailler ont été sources d’inspiration. «Le maquillage cache un peu l’âme des gens, or je veux des peaux qui brillent, sans artifice, car c’est là que réside la beauté. J’admire aussi le cinéma nerveux d’Andrea Arnold; on y trouve une urgence, l’impression de vies capturées sur l’instant.» S’affirme, chez l’héroïne comme chez Herzi, la volonté de ne pas correspondre au désir d’un homme, mais d’être à l’écoute du sien. Et qu’est-ce que réaliser, sinon répondre à ses propres pulsions? «Le fait d’avoir autoproduit le film m’a permis de ne pas dépendre de la volonté des autres. J’écris des scènes depuis toute petite, et le passage à l’acte a été une révélation pour moi. Réaliser me donne une inexplicable sensation de vivre.» Avec cette héroïne en pleine possession de son désir, la réalisatrice célèbre le caractère grisant de l’écriture et, l’œil irrigué par le rêve, appelle de ses vœux une semaine supplémentaire consacrée à l’expérimentation sur son prochain tournage. Décidément, chez Hafsia Herzi, le cinéma ne peut avoir d’autre goût que celui de la liberté.

Tu mérites un amour de Hafsia Herzi, Rezo Films (1h39), sortie le 11 septembre
Photographie: Paloma Pineda
Images: Copyright Les Films de La Bonne Mère

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