Que ce soit dans Mon cœur (2017), qui parlait du scandale sanitaire du Médiator, dans Féminines (2019), sur une équipe de football féminine amatrice, ou dans Pour Autrui, qui parle d’un couple qui a recours à une mère porteuse, il y a toujours un aspect très documenté et actuel dans votre théâtre. Comment procédez-vous ?
Je passe beaucoup de temps à rencontrer les gens, dialoguer, faire des interviews. Je vais chez eux et j’y passe des heures. Ça me permet de me plonger dans les récits de leurs vies mais aussi dans les silences, car parfois le plus important n’est pas dit. Dans le cas de Pour Autrui, j’ai aussi parlé avec des sociologues, des médecins, ainsi que beaucoup de femmes et d’hommes en France et aux États-Unis (la pièce suit le parcours d’un couple français ayant recours à une mère porteuse aux États-Unis, ndlr.) pour nourrir mon écriture. J’essaye de faire un théâtre très ancré dans le réel et de porter des voix.
La gestation pour autrui est un sujet très polémique. Qu’est-ce qui a donné envie de vous en emparer ?
C’était vraiment une thématique que j’avais envie de défendre et d’explorer. Je voulais parler de maternité et de grossesse et il me semblait que la GPA restait un territoire d’inégalités fortes dans notre pays. L’héroïne de la pièce a un cancer de l’utérus qui l’empêche de porter son enfant. Cela fait aussi écho à mon histoire personnelle car j’ai traversé le cancer et la fausse couche. Et en vivant ces épreuves, j’ai eu l’impression que c’était des sujets dont on parlait très peu et sur lesquels j’avais très peu de références. Cette expérience intime m’a permis de rentrer dans cette histoire-là d’une façon qui était vraiment très personnelle.
On entend beaucoup de débats d’idées sur la GPA, peut-être moins de récits intimes. C’était important pour vous de les remettre au centre ?
Oui. Je n’avais pas du tout envie de faire un plaidoyer. Ce qui m’importe, c’est avant tout de raconter l’histoire de cette femme et de ce couple pour ensuite dire : on fait quoi ? Souvent on a des avis, on « parle de », mais on n’explore par l’histoire. Je veux parler des ressentis et de ce que les gens traversent.
Vous abordez souvent des sujets de société assez lourds, parfois violents, qui parlent de domination patriarcale, de maladie, de lutte des classes. Pourtant il y a toujours un équilibre entre gravité et légèreté dans ce que vous proposez…
Dans Féminines, c’est vrai qu’il y avait une volonté de la comédie, même s’il y a du fond. Et dans Pour Autrui, je dirais qu’il y a l’élégance du sourire. Je la trouve importante, à la fois pour les personnages et à la fois pour moi, en tant qu’artiste. Car ce qui m’a aidée dans les épreuves que j’ai vécues, c’est quand même les histoires lumineuses. Je voulais raconter des personnages qui sont à terre, mais qui se relèvent. Et puis la gestation pour autrui c’est une histoire magnifique, de naissance, à la fois puissante et belle !
Vous avez monté la compagnie La Part des anges en 2004, en sortant du Conservatoire d’Art Dramatique, et travaillez depuis avec la même équipe. Quel est votre processus de création ?
Je travaille avec les mêmes acteurs depuis l’école, mais j’ai aussi toute une équipe de collaborateurs artistiques, pour la scénographie, les costumes, la vidéo, la musique. Le fait de travailler ensemble depuis longtemps nous a permis d’affiner notre méthode. J’écris un premier jet du texte, que je leur soumets. Ensuite on commence à travailler ensemble sur des images d’inspiration et des espaces, on tisse la création ensemble.
Une fois que tout est bloqué, on monte une première version du spectacle sur une maquette du plateau, puis on se retrouve sur le plateau avec les acteurs. Et à partir de là, le spectacle peut encore évoluer jusqu’à la première. Dans le cas de Pour Autrui, l’idée était de raconter une histoire qui se passe sur deux continents et sur plein d’espaces différents. Le décor est modulable, la vidéo fait changer les espaces, le son donne les transitions… C’est vraiment la collaboration avec toute l’équipe, main dans la main, qui a permis de raconter cette histoire au mieux.
Pour Autrui, texte et mise en scène de Pauline Bureau, du 21 septembre au 17 octobre 2021 au Théâtre de la Colline
Images (c) Christophe Reynaud de Lage