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On revient du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux : nos 6 films préférés
- Josephine Leroy
- 2019-10-22
De retour de l’excellent Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, qui défend une programmation queer et défricheuse, on a voulu revenir en six films sur nos coups de cœur.
DE LA TERREUR, MES SOEURS ! d’Alexis Langlois / Compétition française courts métrages / Grand prix / Prix du Compositeur de Musique de Court métrage
Revenge movie osé, survitaminé et décalé, le dernier court-métrage d’Alexis Langlois (À ton âge le chagrin c’est vite passé (2016)) part d’une conversation entre quatre copines (campées par Nana Benamer, Naelle Dariya, Raya Martigny et Dustin Muchuvitz) qui se retrouvent pour siroter des verres et se confient sur les attaques verbales et physiques transphobes qu’elles ont subies ces dernières heures, sur les applis de rencontre ou dans la rue.
À leur service, un barman intimidé par leur présence (Félix Maritaud) et une serveuse (Justine Langlois) qui les complimente lourdement sur leur physique. C’en est trop pour ce crew puissant, qui décide se venger contre le « cis-tème » (un jeu de mots de leur cru basé sur le terme « cisgenre », qui désigne les personnes dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance, à l’opposé des personnes trans) en exposant chacune à leur tour leurs fantasmes de révolte, incarnés dans des saynètes featuring le couple straight nunuche du bar.
Sorte d’épisode d’Hélène et les garçons dynamité par les mauvais esprits de John Waters et Gregg Araki, avec un bon lot de scènes gores, de looks et make-up colorés, ou de passages musicaux scintillants, le film navigue entre les genres et les émotions, pour coller au mieux à la personnalité de chacun des personnages. Sans oublier de célébrer avec majesté la sororité autour du personnage de Kalthoum (Nana Benamer), aspirante actrice qui rage sur un plateau de ciné du fait qu’une énième personne cis ait décroché un rôle de femme trans et récite dans son coin les répliques qu’elle aurait rêvé prononcer, permettant au film d’ouvrir une réflexion méta passionnante à propos de la représentation des personnes trans au ciné. Action, réaction : justice rendue par Langlois et ses quatre fantastiques.
Membre du jury de la Compétition française, Zahia Dehar a prononcé un émouvant discours sur le film, repris ici sur le compte Instagram d’Alexis Langlois :
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TRIP de Lesly Lynch et Geoffrey Cochard / Compétition Contrebandes
De la techno dans les oreilles, des paillettes dans tous les sens, des corps presque nus qui ondulent sous la lumière de néons, de la drogue consommée ici et là à l’intérieur d’entrepôts industriels abandonnés… Voilà les ingrédients de base de l’électrisant moyen-métrage Trip, immersion à la fois brute et onirique, entre documentaire et fiction, dans les recoins cachés de la nuit parisienne signée par les réalisateurs-fêtards Lesly Lynch et Geoffrey Cochard.
Un monde parallèle peuplé de personnages queer fucked up mais dont l’extrême liberté affleure à chaque instant à l’écran. Ces communautés marginalisées par une société qui refuse la pluralité trouvent dans ces espaces un refuge salvateur. Les cinéastes s’approchent de trois papillons de nuit : le flamboyant et touchant Luc, qui raconte sa séropositivité et a trouvé sa voie dans le cabaret Madame Arthur, où son talent de performeur drag éblouit le public ; l’indomptable Agatha, jeune femme d’origine polonaise qui a quitté sa famille très catho tradi pour les squats et les boîtes de strip-tease de la région parisienne ; et enfin Karim, qui découvre ces hangars par hasard et permet au spectateur de s’y infiltrer. Une exploration plus que nécessaire à l’heure où nombre d’établissements culturels de ce type ferment dans Paris et sa banlieue, croulant sous de déplorables pressions politiques.
ADOLESCENTES de Sébastien Lifschitz / Compétition internationale / Longs métrages
Pour tourner ce tendre documentaire, Sébastien Lifschitz (Les Invisibles (2012), Bambi (2013)) s’est régulièrement rendu à Brive, où il a patiemment suivi l’évolution de deux copines de 13 à 18 ans. Il filme ensemble et séparément ce duo aux airs de Laurel et Hardy (Anaïs, vrai cœur d’artichaut, s’emballe pour un rien, tandis qu’Emma affiche des moues blasées) dans le moment charnière de l’adolescence, parenthèse grouillante, excitante, mais aussi angoissante, d’autant plus dans cette période marquée par les attentats de 2015.
Toujours travaillé par la question du temps et de son empreinte, Lifschitz fluidifie sa chronique par un montage habile : sans indiquer de date, il fait rebondir le début d’une séquence sur la fin de la précédente. Au gré des scènes, on sent pourtant que s’évapore la légèreté des premiers instants : les étapes que l’adolescent quidam doit franchir se suivent, les traits du visage se fixent, les caractères s’affirment et surtout, le déterminisme social éloigne les parcours (Anaïs, qui vient d’un milieu populaire, suit un cursus pro pour devenir auxiliaire de vie, pendant qu’Emma, issue d’un milieu plus aisé, passe en générale, puis monte à Paris faire des études de ciné). Dans une scène de fin, Anaïs, lucide, confie à Emma au beau milieu d’un parc ensoleillé qu’elle doute du fait qu’elles resteront amies alors que leurs vies prennent des chemins différents. L’écran s’assombrit et engloutit alors ces derniers moments de complicité solaires, forcément éphémères.
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LA COMMUNION de Jan Komasa / Compétition internationale / Longs métrages
Incarcéré dans un centre de détention pour la jeunesse où de violents bizutages sèment quotidiennement la terreur, Daniel, un jeune polonais de 20 ans, se réfugie dans la foi catholique. Il veut suivre des études de séminariste, mais doit y renoncer, faute d’avoir un casier vierge. Libéré sur parole, il accepte en contrepartie de travailler dans une menuiserie, située dans une petite ville des alentours, où un concours de circonstances l’amène à se faire passer pour un prêtre en vacances…
Le Polonais Jan Komasa (La Chambre des suicidés (2011), Insurrection (2014)) signe à partir de ce quiproquo un drame haletant, porté par le très bon Bartosz Bielenia, qui incarne à merveille avec son visage d’ange ce faux prêtre en proie à ses démons (la drogue, l’alcool) qui trouve dans les regards approbateurs de paroissiens conquis par son charisme la possibilité d’un salut. Le récit gagne en intensité quand une affaire ayant traumatisé les habitants (un accident de voiture où six jeunes sont morts) refait surface et renvoie Daniel à son passé. Comme pour se rattraper de ses propres torts, ce dernier tente de ramener, non sans contradiction, cette communauté de familles désœuvrées à la religion, entre rédemption, communion et réhabilitation. Magnifiquement filmée par Kamasa, la lutte intérieure de Daniel, baignée dans une lumière bleutée, prend dès lors une dimension universelle.
POISSONSEXE d’Olivier Babinet / Compétition française / Longs-métrages
Après son mémorable documentaire Swagger (2016), mosaïque de portraits de jeunes très créatifs issus de milieux défavorisés, Olivier Babinet revient très en forme avec Poissonsexe, dystopie futuriste qui raconte l’histoire de Daniel (Gustave Kervern), un biologiste obsédé par la paternité qui étudie la disparition des poissons. Avec Lucie (géniale India Hair), une jeune serveuse pince-sans-rire revenue dans sa ville natale après une expérience parisienne douloureuse, ce flegmatique rêveur découvre, dans un océan mort, un Axolotl (très vite baptisé Nietzsche), rare poisson n’atteignant jamais le stade adulte…
Entre expérimentations 3D (des interfaces d’applications inventées, une baleine créée par ordinateur), audaces formelles (des plans filmés depuis des aquariums) et simplicité du récit, la fable poétique d’Olivier Babinet évoque le désir « humain, trop humain » (pour reprendre le titre d’un livre de Nietzsche) de (pro)créer par peur du vide. Une idée encore plus saillante à l’ère du réchauffement climatique, de la peur d’une possible extinction de l’espèce humaine si aucune action écologique de masse n’est entreprise. Sans être fataliste, le film, par ailleurs très drôle, ouvre une passionnante réflexion sur l’importance démesurée, à l’échelle immense du monde, que nous nous accordons à nous-mêmes.
YANDERE de William Laboury / Compétition française / Courts-métrages
Maïko, jeune fille holographique, croit vivre une histoire d’amour avec Tommy, un ado boutonneux qui prend confiance en lui à travers cette relation fictive. Seulement, ce dernier finit par la quitter pour une autre fille (réelle). Face à ce cruel retournement de situation, Maïko commence à développer des sentiments et des réactions physiologiques humains… Remarqué après avoir présenté son court-métrage Chose mentale (2017), qui narre l’histoire d’une jeune fille électrosensible qui s’extrait du monde, le jeune cinéaste William Laboury s’inspire ici des yandere, personnages-types de mangas japonais dont la personnalité apparaît d’abord comme tendre, gentille et affectueuse pour ensuite révéler une face sombre et psychotique.
Si le film n’est pas sans évoquer Her de Spike Jonze, dans lequel un homme solitaire et meurtri tombe amoureux d’une intelligence artificielle, William Laboury impose toutefois sa propre vision en choisissant de se focaliser sur le point de vue de l’hologramme plutôt que sur celui de l’être humain qui la manipule. À travers des images 3D impressionnantes – une masse organique qui se dessine dans le corps de Maïko -, il insuffle une incroyable vitalité à cette créature artificielle, jusqu’à la rendre complètement humaine sous les traits de la surprenante actrice Ayumi Roux. Pour symboliser cette transition, il fait évoluer la colorimétrie générale du film, en passant du bleu typique des anime nippons à des tons rouges, qui rappellent le sang et les organes humains. Dans ce monde où les hommes paraissent au fond moins humains que les intelligences artificielles, il y a quelque chose de vertigineux.
PALMARÈS COMPLET :
Compétition internationale – Longs métrages
Grand Prix de la Compétition Internationale – Longs métrages
NOURA RÊVE de Hinde Boujemaa (Tunisie, Belgique, France, 2019 / distribution : Paname Distribution, sortie le 13 novembre 2019)
Mention à Bartosz Bielenia (acteur) dans LA COMMUNION (CORPUS CHRISTI) de Jan Komasa (France, Pologne / 2019 / distribution : Bodega Films, sortie le 5 février 2020)
Grand Prix de la Compétition Française – Longs métrages
TERMINAL SUD de Rabah Ameur-Zaïmeche (France, 2018 / distribution : Potemkine Films, sortie le 20 novembre 2019)
Mention à POISSONSEXE d’Olivier Babinet (France, Belgique, 2019 / distribution : Rezo Films)
Prix du Compositeur de Musique de Long métrage KOKOKO !, Xavier Thomas (Debruit) et Liam Farrell (Doctor L) pour SYSTÈME K de Renaud Barret (France, Documentaire, 2018 / distribution : Le Pacte, sortie le 15 janvier 2020)
Grand Prix Compétition Française – Courts métrages
DE LA TERREUR, MES SŒURS ! d’Alexis Langlois (France, 2019 / production : Les Films du Bélier) Mention: YANDERE de William Laboury (France, 2019 / Kazak Productions, Mathematic)
Prix du Compositeur de Musique de Court métrage DE LA TERREUR, MES SŒURS ! d’Alexis Langlois
Grand Prix Compétition Contrebandes
LES SURVIVANTS de Nicolas Bailleul (France, 2018)