L’inspectrice Ellie Miller dans Broadchurch
Dans la série Broadchurch (2013-2017), Olivia Colman campe une inspectrice de police d’un petit village en bord de mer. Sa vie privée se retrouve mêlée au meurtre d’un enfant du village sur lequel elle doit enquêter… Coupe courte, tailleur ample : son look androgyne est là pour signifier que l’univers testostéroné de la police ne lui fait pas peur, qu’elle est parfaitement lucide sur la misogynie rance de ce milieu, où il faut ressembler aux hommes pour se faire respecter. A rebours de la figure du flic taiseux, grognon, elle surprend par son empathie, sa douceur. Son côté vivant et lumineux contraste avec l’austérité de son coéquipier, beaucoup plus torturé, ce qui apporte une certaine crédibilité à ce binôme, dans lequel elle refuse catégoriquement de disparaître. M-M. P.
The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal
Sous le soleil de la Grèce, Leda, une prof de littérature quadra, trompe la solitude en lisant Camus. La plage est bientôt investie par une jeune mère (Dakota Johnson) et sa fillette. Commence alors une étrange parade, par laquelle Leda tente de gagner leur confiance… Le dessein psychanalytique du film – réveiller les souvenirs de la maternité et ses ramifications tortueuses – plutôt limpide, se cogne vite à l’opacité de Leda. On la sent borderline, sans jamais qu’elle excède la bienséance ; elle frôle l’abîme sans s’y oublier, prend des atours monstrueux avant de réenfiler le visage de la normalité. Cette ambiguïté, on la doit surtout au jeu vénéneux d’Olivia Colman. Sa silhouette massive, ses gestes de control freak, ses œillades noires puis bienveillantes : tout son corps devient un territoire ombrageux, où pointent les stigmates de la folie. Jusqu’à ce que l’on découvre, non sans trouble, et au détour d’une chute de pomme de pin qui la blesse, que Leda était peut-être un colosse au pied d’argile… Il fallait le flegme impassible d’Olivia Colman pour parvenir à démasquer, sous son apparente quiétude, les tumultes de la maternité. L.A-S.
« The Lost Daughter », drame intranquille de Maggie Gyllenhaal
La directrice d’hôtel dans The Lobster
Dans ce film réalisé par Yorgos Lanthimos en 2015, Olivia Colman prête son jeu loufoque à l’univers quasi-dystopique du réalisateur. Directrice d’un hôtel qui s’apparente à une prison pour célibataires (ces derniers ne seront libérés qu’à condition de trouver un partenaire sous 45 jours, à défaut de quoi ils seront changés en animaux), l’actrice, sous la direction de Lanthimos, prend des allures de matonne. Vêtue de couleurs sombres, raffinée et tiré à quatre épingles, le naturel et la simplicité de l’actrice sont réajustés afin qu’elle incarne cette femme dérangeante au visage impassible et à la voix monocorde. Alors que le réalisateur mobilise le hors champ pour suggérer en permanence l’horreur et distiller la gêne, Olivia Colman, positionnée en tant que voyeuse, observe des moments de malaise dont elle est l’initiatrice, participe à un subtil dispositif de pulsion scopique. Privé de la vue de ces événements abjectes, le spectateur ne peut qu’observer Olivia Colman en train d’observer. L’actrice devient alors un relai du désir sadique du spectateur. M-M. P.
The Crown, saison 3 et 4
Plusieurs visages pour dire le long règne d’Elisabeth II. C’est le concept vertigineux de la série créée par Peter Morgan, qui régénère son casting toutes les deux saisons, forçant le spectateur à se distancier de « l’authenticité historique » du show. Olivia Colman est sans doute celle, parmi les doubles romanesques de la reine britannique (avant elle, Claire Foy, après elle, Imelda Staunton), qui va le plus loin dans cet exercice de démantèlement narratif. L’actrice, qui campe la souveraine pendant les sixties – période de désamour pour la monarchie -, assume avec insolence cet écart identitaire. Emprunter la diction altière d’Elisabeth II, sa froideur équivoque (faut-il l’imputer à l’étiquette ou à une sécheresse d’âme ?), son sens aigu de la diplomatie, d’accord. Pour le reste, Olivia Colman préfère conserver ses tics – une moue stricte, une bouche pincée, prête à engloutir ceux qui remettraient en cause son autorité. En apposant ainsi sa persona intransigeante à l’image lisse de la reine, l’actrice souligne aussi à quel point elle fut, pendant son règne, le produit médiatique d’une société britannique en manque d’idoles à vénérer. L.A-S.
La reine Anne dans La Favorite
Dans ce film décalé, surprenant et satirique (signé encore une fois Yorgos Lanthimos, et sorti en 2018), Olivia Colman incarne une figure royale complètement borderline. Affublée de crinolines et de jupes bouffantes, sa prestance royale se limite à sa tenue et contraste avec une attitude grossière et cynique qui discrédite complètement son statut haut placé. Grâce à une mise en scène contemporaine qui multiplie les anachronismes, Olivia Colman, lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle, trouve un terrain de jeu propice à ses excès grotesques. Tout dans son jeu anti naturaliste, presque bouffon, exprime les débordements libidineux d’une époque cruelle, où règnent complots, sexe et manipulations. Son interprétation caricaturale, ridicule devient alors un outil pour railler la débauche des puissants, faire le portrait d’une aristocratie moralement dépravée. Une mascarade à laquelle se prêtent joyeusement ses dames de compagnie assoiffées de pouvoir (Emma Stone et Rachel Weisz), sans qu’aucun homme n’ait jamais son mot à dire. M-M. P.