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Nouvelles stars : 5 figures du jeune cinéma queer à suivre de près
- Quentin Grosset
- 2023-09-08
On a spotté les nouvelles stars du cinéma queer et on leur a demandé de nous parler de leurs parcours, de leurs visions du futur - et pour que vous fassiez mieux connaissance, on leur a aussi demandé de nous envoyer des selfies.
Cet article fait partie du dossier « C’était mieux après », publié dans le °200 de TROISCOULEURS. Retrouvez tous les autres articles ici.
[GIO VENTURA]
Il incarnera la chanteuse Billie Kohler dans Les Reines du drame, premier long métrage d’Alexis Langlois, ode glittercore aux chanteuses pop des années 2000 et notre attente numéro un de l’année prochaine.
Ton parcours ?
Après la fin un peu chaotique d’une cohabitation à sept dans un hôtel abandonné, je suis parti à Amsterdam où j’ai rencontré de bons alliés de travail et les milieux pd. J’ai fait mes premières tractions à la salle et mes premières vidéos de musclés. Puis je suis arrivé à Paris où j’ai doublé ma consommation de protéines, pratiqué des sports de combat, avant de réaliser mon premier court métrage. Les Sports X-trem est une bromance musclée tournée entre la salle de muscu et les tours Mercuriales.
Le film est montré en ce moment en festival, et j’espère mettre en action mon prochain projet cette année, avec un casting toujours plus sexy et stéroïdé. Je suis aussi acteur depuis une dizaine d’années, mais c’est vraiment à Paris que j’ai rencontré un cinéma plus proche de ce qui m’intéresse et des réals qui sont devenus des amie·s. Cet été, j’ai joué Billie Kohler dans le premier long de la reine du drame en personne, Alexis Langlois.
Tu penses que « queer est l’avenir » ?
Ce serait malhonnête de dire que l’avenir est queer. Je pense que le moment qu’on traverse maintenant concernant les questions queer est particulier. Il y a des choses appétissantes qui se passent, mais si je zoom out je vois aussi les limites de tout ça, principalement extérieures. J’ai peur des réacs, de la récupération et de l’aseptisation de ce que font toutes celles qui existent et créent dans des circuits alternatifs, et aussi d’une trop grande focalisation des récits sur des questions d’identité un peu creuses. Je regrette parfois un manque de prise de risque, ce qui dans une certaine mesure est compréhensible vu le climat ambiant, mais j’espère que les queers et toutes les autres qui proposent un cinéma risqué, courageux et puissant continueront de le faire. J’ai de l’admiration pour elles·eux et je leur envoie mes kiss les plus musclés.
De mon côté, c’est génial de faire partie d’un casting comme celui du film d’Alexis, mais j’ai eu mon lot de rôles inintéressants avant, et j’ai dû me déguiser en super-fem [une personne à l’apparence très féminine, ndlr] souvent, faute de rôles plus élastiques. Avec Alexis, on rigolait sur le fait que, dans son film, c’est sûrement la première fois qu’une meuf cis est jouée par un Tboy [abréviation de transboy, garçon trans, ndlr]. Dans tous les cas, je trouve important de faire des films qui nous ressemblent et nous excitent, parce qu’en attendant ce qui se passe dans le ciné mainstream est déprimant.
Tes projets ?
Faire du muscle et des films.
[FRANCOIS CHAIGNAUD]
Dans Boléro de Nans Laborde-Jourdàa (Queer Palm 2023 du court métrage), François Chaignaud, chorégraphe et interprète, nous avait envoûtés avec son rituel dansé au rythme du Boléro dans des toilettes de supermarché.
Ton parcours ?
Depuis enfant, je laisse la danse infiltrer ma vie, l’inonder même. La danse, moins comme une démonstration de maîtrise ou d’expression de soi que comme une façon de laisser le monde, les autres, un·e autre entrer en soi 🔥.
La danse, comme une excuse pour être quelqu’un d’autre ; la danse, art si fluide comme un moyen d’échapper à l’identité ou de la dépasser.
Depuis enfant, la danse me déguise et me transforme – des muscles au bout des ongles jusqu’aux viscères…
Tu penses que « queer est l’avenir » ?
Hum…
J’en sais rien, mais queer sera l’avenir si et seulement si ce terme aux mille sens ne devient ni une arme, ni un dogme, ni un mot d’ordre ou un segment marketing… Je ne minimise pas l’ampleur des luttes à venir, mais queer sera l’avenir s’il propulse et accompagne nos « mouvementements » inextinguibles, s’il ne se sédimente pas dans une paillette rigide et fatiguée.
Tes projets ?
Dans un futur très proche, je crée Mirlitons avec le beatboxeur Aymeric Hainaux le 11 octobre (my bday), à la MC93, dans le cadre du festival d’Automne. Duo minimal et brutal, pastoral et apocalyptique, boiteux, percussif, modeste et idéaliste 😏.
Ensuite, pour les prochaines saisons, j’ai plusieurs spectacles en projet – qui vont continuer à dilater les contours des corps –, et je rêve de vie de village et de cinéma 🌈.
[LOUIZA AURA]
Aux côtés de Gio Ventura (mais aussi de Bilal Hassani, Asia Argento, Alma Jodorowsky…), Louiza Aura, 22 ans, tient l’autre rôle principal bien drama du premier long d’Alexis Langlois, Les Reines du drame, celui de Mimi Madamour, une idole teen des années 2000.
Ton parcours ?
À l’origine, je n’avais aucune vocation à être actrice. Ce que j’ai toujours voulu, c’est être derrière la caméra, devant une feuille vierge prête à accueillir mes mots. Les métiers de réalisateur·ice et d’auteur·ice m’ont toujours attirée ; le métier d’acteur·ice m’impressionnait, mais je me disais que ça n’avait rien à voir avec moi. J’ai donc commencé par des études théoriques de cinéma et de lettres, pour lire, écrire, voir tout ce que je pouvais…
Alors que je ne m’y attendais pas, j’ai eu le rôle de Mimi dans Les Reines du drame, après avoir passé un puis plusieurs castings. Je les passais plus pour me prouver que je pouvais le faire – pas vraiment pour être choisie –, et pour voir à quoi ça pouvait bien ressembler d’incarner un personnage et de le vivre entièrement, l’espace d’un instant.
Maintenant que le tournage est fini, j’aimerais continuer à jouer pour toujours… L’acting, c’est comme un moyen de faire jaillir toutes mes émotions qui n’ont pas encore de mots.
Tu penses que « queer est l’avenir » ?
Avec l’augmentation constante de nouveaux crimes homophobes, transphobes, anti-LGBTQ, je ne sais pas si je peux affirmer que « queer est l’avenir », du moins dans un futur proche. Mais j’espère que « diversifié sera l’avenir », et je suis sûre que Les Reines du drame participeront énormément à ça. Il faut changer les images traditionnelles que l’on voit au cinéma : l’image de la femme lesbienne imaginée par un homme cisgenre, l’image du « mec de cité » fantasmé par une personne non racisée, l’image de l’éternelle famille bourgeoise française représentée partout… Les films français doivent refléter la réalité de la société française disparate, son hétérogénéité, sa richesse. Y en a assez de voir les mêmes schémas… Et si enfin « diversifié sera l’avenir », alors il sera aussi queer, beau, sincère…
Tes projets ?
Continuer à jouer, et puis écrire de mon côté. En ce moment, j’écris des contes, et je vais bientôt jouer dans un nouveau court métrage… J’ai hâte ! J’ai l’impression de vivre le début d’un long film imprévisible : une sorte de tragicomédie au casting parfait, avec des rebondissements inattendus et douze mille actes. Vraiment très hâte de jouer dans ce film en train de s’écrire <3
[YUMING HEY]
Dans Osmosis, la série d’anticipation Netflix sur un algorithme censé être capable de faire trouver l’amour (c’est forcément compliqué), Yuming Hey incarne Billie, un personnage de scientifique gender fluid. L’interprète rejoint l’univers du cinéaste-sorcier Bertrand Mandico dans Conann (sortie le 29 novembre).
Ton parcours ?
J’ai commencé le théâtre à l’âge de 5 ans [Yuming Hey est né·e en 1993, ndlr]. J’ai toujours fait beaucoup de pratiques artistiques en parallèle de ma scolarité (cirque, danse, flûte traversière, chant, théâtre…), et j’ai intégré une école départementale de théâtre après le lycée avant d’entrer au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris en 2015. À ma sortie, j’ai eu la chance d’interpréter le premier rôle gender fluid dans une série Netflix (Osmosis) : j’avais proposé que le rôle soit gender fluid et que ce ne soit pas un sujet, et ma demande a été très bien reçue.
J’ai aussi interprété Mowgli dans une mise en scène très queer du Jungle Book mis en scène par Bob Wilson en comédie musicale, puis j’ai eu la chance d’interpréter Herculine Barbin au théâtre sous la direction de Catherine Marnas et de faire un seul en scène « On n’est pas là pour disparaître » mis en scène par Mathieu Touzé au Théâtre 14 (où je suis artiste associé et conseiller artistique) où je jouais tous les personnages. Au cinéma, j’ai rejoint l’univers queer de Bertrand Mandico.
Tu penses que « queer est l’avenir » ?
Queer est l’avenir parce que c’est l’union de l’humanité contre le séparatisme hommes/femmes. C’est l’acceptation qu’un humain est homme et femme, ou yin et yang, c’est-à-dire qu’il a autant une puissance masculine qu’une puissance féminine. C’est accepter qu’il y ait autant de manières d’aimer et d’être aimé qu’il y a d’individus sur Terre.
Tes projets ?
J’organise un festival de théâtre : le ParisOFFestival. Les 6 et 7 septembre sera projeté le film Pétrouchka de Bertrand Mandico dans lequel je joue un des personnages principaux à la Philharmonie de Paris, et l’Orchestre de Paris jouera toute la musique du film en live ! Le 16 septembre, il y aura l’avant-première du film La Vénus d’argent à Paris d’Héléna Klotz dans lequel je joue aux côtés de la chanteuse Pomme.
Voilà pour cette fin d’année chargée 😂.
[SUZY BEMBA]
À 23 ans, elle tient le premier rôle de la série L’Opéra sur OCS ; crève l’écran dans Le Retour de Catherine Corsini (sorti cet été) en jeune adulte vivant sa première relation avec une fille ; a décroché un rôle queer dans Pauvres Créatures de Yórgos Lánthimos (sortie le 17 janvier 2024) avec Emma Stone ; a cofondé l’ADA, Association des acteur·ices qui lutte entre autres pour rendre les tournages plus safe.
Ton parcours ?
Je ne sais pas si j’ai toujours eu envie de jouer. Je crois que cette envie est arrivée progressivement pendant le lycée. J’ai ressenti un besoin d’expression différent de ceux auxquels j’avais accès mais qui ne me convenaient peut-être pas totalement. Après mes premiers castings, l’envie et le besoin de jouer étaient clairs. Je suis partie en fac de médecine, mais après une première année peu fructueuse j’ai voulu essayer le cinéma.
J’ai tourné un premier film durant l’été 2019, puis j’ai repris mes études. J’ai très vite été emportée par la série L’Opéra et depuis je ne pense presque qu’à ça. Quand je ne joue pas, ça me manque immensément ; et quand je joue j’oublie tout. Après deux ans à tourner exclusivement, l’école me manquait. Alors, j’ai décidé de reprendre des études de biologie à distance. Aujourd’hui, je crois que le jeu, c’est ce dans quoi je me projetais au lycée.
Tu penses que « queer est l’avenir » ?
Le terme « queer » a, selon moi, la capacité à englober et à célébrer une gamme d’identités perçues comme « non conformes » à la norme, marginalisées, invisibilisées et à qui on ne donne pas la parole dans les discours dominants. Il permet aussi de continuellement remettre en question le normal, et de le dépasser. Ce terme souligne la pluralité des identités, mais aussi la façon dont les systèmes de pouvoir et de domination en place tentent de réduire les individus à des catégories restreintes. Il contient l’importance de la résistance et de la solidarité collective pour un avenir plus inclusif, juste et moins violent.
En reconnaissant les différentes dimensions de l’identité et de l’oppression, on comprend l’expérience des individus, essentielle à la construction d’un avenir inclusif, égalitaire, juste. Étant aussi une femme noire, je ne peux penser que seul « queer » est l’avenir. J’ai grandi sans représentation de personnes noires queer, je n’en trouve qu’aujourd’hui. J’ai espoir que, dans un futur, malgré tout semblant lointain, des individus racisé·s·es (ici, le terme rappelle que la race est une construction sociale et non une caractéristique biologique scientifiquement reconnue) et queer auront la parole. Pour cela, l’éducation autonome à l’antiracisme et à l’inclusivité est essentielle et la responsabilité perpétuelle de tous·tes. Cependant, queer sera l’avenir seulement si celui-ci est aussi green.
Tes projets ?
En janvier, le film Pauvres Créatures de Yórgos Lánthimos sortira au cinéma. J’ai aussi tourné dans le film Drift d’Anthony Chen, ainsi que dans le film Ma France à moi de Benoît Cohen, qui sortiront prochainement. La série Tout va bien créée par Camille de Castelnau, dans laquelle j’apparais, sortira aussi bientôt sur Disney+. J’ai travaillé cette année avec Jérémie Sein pour son prochain film, L’Esprit Coubertin, et avec Florian Gallenberger sur son prochain long A Perfect Match.
Illustration de couverture : Wenjia Tang pour TROISCOULEURS