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Locarno 2024 : nos coups de cœur du 77e festival

  • Timé Zoppé
  • 2024-08-19

Le 77e festival de Locarno s’est achevé samedi, tenant comme d’habitude l’équilibre entre hommage aux figures tutélaires (le Léopard d’honneur décerné à la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion, le Raimondo Rezzonico Award donné à la productrice américaine Stacey Sher…) et défrichage de cinémas novateurs sourcés hors des viviers habituels.

Cette année, la compétition, au jury présidé par la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner et comptant aussi, entre autres, la voix de la cinéaste indienne Payal Kapadia (qui a remporté le Grand Prix au dernier festival de Cannes avec son film All We Imagine as Light, en salles le 2 octobre), a notamment couronné le cinéma lituanien, remettant le Léopard d’or à l’excellent Toxic de Saulė Bliuvaitė (à tout juste 30 ans, c’est son premier long métrage) et le prix de la réalisation adjoint d’un prix d’interprétation collectif aux acteurs et actrices de Drowning Dry de Laurynas Bareiša (dont c’est seulement le deuxième long).

Plus habituée des grandes compétitions, la Sud-Coréenne Kim Minhee, actrice fétiche de Hong Sang Soo, repart avec l’autre prix d’interprétation pour son rôle tout en nuance dans le très actuel By the Stream, qui prend pour canevas le scandale d’un prof ayant couché avec trois des quelques élèves que compte le TD de théâtre qu’il animait à la fac.

Côté courts métrages également, cette édition révèle ou confirme des voix singulières à suivre de très près, comme celle de la Malaisienne Mickey Lai, qui remporte le grand prix de la compétition internationale avec Washhh, huis clos anxiogène où une protection hygiénique retrouvée dans les toilettes par la supérieure d’un pensionnat pour filles, en Malaisie, semble semer les graines de la révolte. Celle de Valentin Merz, qu’on avait déjà repéré au festival il y a deux ans avec son premier long La nuit, tous les chats sont gris, qui signe avec Les Bouches une réflexion maline sur les privilèges de classes à travers un chassé-croisé entre touristes et résidents de Mexico City. Dans un genre beaucoup plus léger, fleur bleue et kitsch, on a savouré le moyen métrage What Mary didn’t know de Konstantina Kotzamani sur une ado suédoise en croisière avec sa famille, qui vit une passion-éclair avec un commis de cuisine. Ci-dessous, nos plus belles découvertes du festival.

Toxic de Saulė Bliuvaitė (Léopard d’or)

Saulė Bliuvaitė ancre sa fiction dans un recoin de la Lituanie où une agence de modèles vient faire du repérage. Deux adolescentes en cours de casting tentent de se frayer un chemin parmi les injonctions qui pèsent sur les corps féminins, la pauvreté de leur milieu et pour éviter les agressions sexuelles qui menacent à tous les tournants.

De ce pitch aurait pu surgir un film empesé et pétri de clichés. C’est tout le contraire, tant Saulė Bliuvaitė a su atténuer la violence de son propos par une mise en scène ouatée, atmosphérique sans être sirupeuse, et filmer la jeunesse (et ses acteurs, tous excellents) avec empathie. Les références qui viennent d’emblée en tête, comme Virgin Suicides, Elephant ou certains films d’Harmony Korine, finissent elles aussi par s’atténuer tant la cinéaste trouve son propre ton, ses codes pour filmer ce coin reculé d'un pays dont on ne connaît, depuis l’Europe de l’Ouest, pas grand-chose. Au fond, c’est sans doute l’influence de la photographe américaine Diane Arbus qui semble la plus prégnante, elle qui a fait figure de pionnière par son sens du cadre et sa façon de sublimer les corps hors-normes.

La Déposition de Claudia Marschal (Semaine de la critique)

En sélection Semaine de la critique, c’est un documentaire qui nous a laissés exsangues. La Française Claudia Marschal suit Emmanuel, son cousin d’une quarantaine d’années, au moment où il décide de porter plainte contre le curé de son village alsacien pour attouchements, alors qu’il avait 13 ans. Tout le film est porté par la déposition d’Emmanuel à la gendarmerie où il raconte ses souvenirs, poussé par la volonté de se réapproprier son histoire. Car depuis quelques temps, son père, dans le déni pendant des années, veut soudain tirer lui-même l’affaire au clair, jusqu’à aller parler seul-à-seul au prêtre - sans le consentement de son fils.

Entre culpabilité, déni, mémoire enfouie, honte, foi et déchirant amour père-fils, le documentaire de Claudia Marschal vient remuer d’innombrables strates. A l’instar du puissant documentaire Une famille de Christine Angot (auquel on consacrait notre couverture, en mars dernier), le dispositif de La Déposition (en salles le 23 octobre) est passionnant en ce qu’il ne cherche pas à démêler le vrai du faux, à faire justice, mais à montrer avec tact les effets de telles révélations sur la victime et son entourage.

Cent mille milliards de Virgil Vernier (Compétition internationale)

Retour en compétition internationale, où l’on a pu voir le nouveau long métrage de Virgil Vernier (Mercuriales, Sophia Antipolis). Comme dans son très bon moyen métrage Sapphire Crystal (2020), on retrouve dans Cent mille milliards (en salles le 4 décembre) son attrait pour l’immersion dans l’univers des ultrariches. Il suit ici Afine (Zakaria Bouti), un jeune travailleur du sexe d’une grande beauté qui loue ses services à des hommes et des femmes de Monaco. A la période des fêtes, il vit un séjour où le temps se suspend avec une amie et la petite fille qu’elle babysitte dans un appartement bourgeois.

Dans cette curieuse fable de Noël, l’économie de mots et l’absence générale de contexte n’empêchent jamais les émotions d’affleurer. Le spleen des personnages entre naturellement en écho avec celui d’une principauté désincarnée, qui mise tout sur l’artifice et les rêves en toc. De son corps souple, ses désirs mystérieux et son air tendre, Afine adoucit la violence d’un monde déshumanisant, qui pourtant continue d’attirer sans réserves.

La Passion selon Beatrice de Fabrice du Welz (Fuori Concorso)

Béatrice Dalle nous a emportée comme elle sait si bien le faire. Lancée sur les traces de son amour absolu, l’écrivain, cinéaste et poète décédé en 1975, Pier Paolo Pasolini, la diva part sur les lieux de sa vie et de son œuvre, en Italie, sous la caméra de l’auteur de films de genre Fabrice du Welz. Documentaire énamouré sur Dalle et sur Pasolini, La Passion selon Béatrice est fascinant pour les amateurs de l’un ou de l’autre, irrésistible pour les fans des deux (comme nous). L’actrice française s’y livre dans toutes ses émotions, sa démesure, dans l’honnêteté la plus totale. On s’en doutait déjà mais après l’avoir vu, on est convaincus qu’elle aurait été on ne peut plus à sa place dans un film du réalisateur de L’Evangile selon saint Matthieu.

Produit par Saint-Laurent et Vixens.

L’intégralité du palmarès du 77e festival de Locarno est à découvrir ici.

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