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[MOTS CROISÉS] Philippe Katherine : « Les histoires d’amour sont en effet des petites batailles de chaque jour qui peuvent faire souffrir, mais c’est aussi ce défi qui est intéressant »
- Damien Leblanc
- 2023-03-28
Dans « Voyages en Italie » de Sophie Letourneur, Philippe Katerine interprète un Parisien émoussé qui part passer quelques jours de vacances en Sicile avec sa compagne. Sans ses enfants, mais avec des soucis logistiques de tous ordres, le couple va se livrer à un état des lieux de ses sentiments et de ses désirs. Relecture contemporaine du « Voyage en Italie » de Roberto Rossellini, cette séduisante comédie nous a donné envie de faire réagir le comédien chanteur à des citations ayant trait au tourisme et à l’amour.
« Vieillir c’est comme escalader une montagne ; vous êtes un peu essoufflé, mais la vue est bien meilleure ! » Ingrid Bergman
« Dans le film, mon personnage n’est pas au mieux physiquement. Toutes les montées et ascensions qu’il effectue péniblement peuvent d’ailleurs rappeler Stromboli [film de Roberto Rossellini sorti en 1950, ndlr], justement avec Ingrid Bergman. Et, dans l’ascension, il y a une quête, et l’idée qu’on peut se sauver. Avec l’âge, est-ce que la vue est meilleure ? Il faut l’espérer, mais je ne ferais personnellement pas trop de généralités là-dessus. Espérons que, quand on vieillit, on ait des révélations. Nos personnages de Voyages en Italie suivent un vrai parcours existentiel, ils ne se laissent pas tranquilles, ils essaient chaque jour de s’améliorer, ils ratent puis ils réessaient. C’est la recherche qui est passionnante dans la vie, et pas tellement ce qu’on obtient. Car ce qu’on obtient la plupart du temps, au final, on le sait, c’est la mort. Mais le chemin de ce couple pour arriver jusqu’au dernier plan du film, et cette façon si spéciale qu’ils ont de se mettre en scène, c’est une belle recherche. »
« Voyages en Italie » de Sophie Letourneur : un road-trip conjugal doux-amère
Lire la critique« Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux. » Jean Mistler dans Faubourg Antoine (1982)
« On est toujours un peu ridicule quand on est touriste. Après, on peut l’assumer, ou pas. Moi, je suis un très mauvais touriste, je n’y arrive pas du tout. Je préfère voyager dans ma tête et imaginer ce que ça pourrait être. Quand on fait du tourisme, on est une pièce rapportée, on n’est que de passage, et mieux vaut donc accepter cette part de grotesque. Le couple du film a un côté assez pathétique, avec ce Guide du routard auquel ils obéissent scrupuleusement. Mais ils essaient en même temps de sublimer cette expérience en tentant de trouver de la magie dans l’extrême quotidien. Et c’est à force de précision, comme se demander où sont passées les clés, que cet hyper-quotidien devient quelque part sublime. Ça rappelle la pissotière de Marcel Duchamp : des choses qu’on ne voyait jamais dans un musée pouvaient tout d’un coup devenir de l’art et l’ordinaire se muer en extraordinaire… De la même façon, si ça m’ennuie en théorie de sortir de chez moi, j’étais bien content avec Voyages en Italie de voyager dans un autre cinéma et d’arpenter une terre artistique nouvelle. »
Benoît Forgeard & Philippe Katerine, politique fiction
Lire l'article« Le cinéma est aussi un microscope : quelle que soit la minceur apparente du sujet, un film cherche avec conviction à démêler un petit bout de la vérité. » Roberto Rossellini dans Le Cinéma révélé (1984)
« Il y a quelque chose de cette idée, mais ça dépend aussi de comment c’est fait. Moi, je ne pense pas que Sophie Letourneur soit dans une optique scientifique : c’est un cinéma débridé, elle a un côté punk et propose des trucs qui ne se font plus trop aujourd’hui. Par exemple, tous les gens qu’on voit en figuration en Sicile ne savaient pas qu’ils étaient filmés. J’ai adoré ça, parce que des accidents peuvent arriver à tout moment. On est dans un cinéma de liberté, qu’on avait pu connaître avec Jacques Rozier [réalisateur des Naufragés de l’île de la Tortue ou de Maine Océan, ndlr] et quelques autres qui tournaient avec une équipe très réduite et des moyens limités. C’est beau quand la vie rentre dans le cinéma, sans qu’on voie tout l’attirail plombant qu’il y a autour et sans qu’on ait besoin d’arrêter la circulation et la marche des gens. Chez Sophie Letourneur, on est certes dans l’observation, mais surtout dans la vie qui se poursuit. Aucune prise ne se ressemble, on est toujours dans l’imprévisible. Avec ce couple qui erre et ne sait pas trop où aller, elle s’éloigne donc du microscope, mais se rapproche d’une liberté qui avait un peu été abandonnée dernièrement au cinéma. Et c’est une voie qui, contrairement à ce qu’on peut penser, n’est pas sans issue. Il y a de quoi reprendre le flambeau ! »
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Lire l'article« Cela rend modeste de voyager ; on voit quelle petite place on occupe dans le monde. » Gustave Flaubert dans Correspondance (1850-1854)
« Le voyage rend obligatoirement modeste, oui, parce qu’on est confronté à nos limites. Déjà, on franchit une limite, qui est celle de la frontière. Car il y a dans la vie les frontières qu’on s’impose, mais aussi celles qui existent vraiment. Et se retrouver face à la barrière de la langue et au fait de ne pas connaître les us et coutumes d’un pays, ça occasionne souvent des situations d’échec. Ces situations peuvent être drôles à vivre si ça se passe bien, mais on reste généralement souffrant en pays lointain. Si on sort de chez soi en vainqueur, on risque en tout cas de grandes désillusions. C’est pour ça que je fais partie de ces personnes qui pensent au pire plutôt qu’au mieux ; je n’ai ainsi que de bonnes surprises après ! Dans le film, on voit les galères que rencontre ce couple, ne serait-ce que pour organiser son voyage depuis Paris, trouver des solutions pour la garde des enfants, se mettre d’accord sur la destination… Ils pensent à l’Espagne ou à la Lozère, avant de choisir l’Italie. Alors c’est certes un problème de riches, mais devoir choisir c’est déjà rentrer dans des interrogations dont on pourrait très bien se passer en restant chez soi. »
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« Dans Voyages en Italie, ce sont des gens qui tiennent l’un à l’autre et qui veulent vivre pleinement cette expérience du couple. Les histoires d’amour sont en effet des petites batailles de chaque jour qui peuvent faire souffrir, mais c’est aussi ce défi qui est intéressant. Mais bon, « le célibat n’offre aucun plaisir », je ne dirais pas ça non plus. (Il prend une voix chantante et amusée.) Celui qui a dit ça n’avait pas l’air très en forme ce jour-là, hein ! Dans un couple, on est sans cesse face à des questions auxquelles on doit répondre à deux. Et comme y répondre tout seul n’est déjà pas si facile, c’est encore autre chose à deux… Comme le raconte Sophie Letourneur, sauvegarder le désir conjugal est une sorte d’équation complexe. Un couple qui part en vacances, ça passe ou ça casse : certains se séparent immédiatement après leur premier voyage car ils ont été confrontés au quotidien et sont sortis de l’illusion. Dans le film, aucune de ces situations banales n’est épargnée au couple que je joue avec Sophie Letourneur. Leur amour vit un test fort mais touchant. »
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« Quand on se retrouve en Italie, comme le montrait déjà le film de Roberto Rossellini Voyage en Italie, on est confronté à l’histoire de l’humanité. C’est bien sûr le cas pour tous les pays, mais il y a en Italie beaucoup de traces du passé glorieux. On fait face à la grandeur et à la décadence de ce qu’on pourrait appeler l’Empire romain. Et on se trouve du coup face à notre propre grandeur éventuelle et à notre propre décadence éventuelle. L’Italie nous fait éprouver le passage du temps et regretter des choses. D’autant qu’on en vient : on a été envahis par les Romains et on reconnaît en quelque sorte davantage l’endroit. Voilà pourquoi le choix de la Sicile était judicieux dans le film. Sophie Letourneur est parfaitement consciente de ce que dégagent les décors de volcans siciliens, elle sait mettre en place les éléments et les ingrédients pour que l’émotion fonctionne. Elle fait ça avec une innocence apparente, mais au fond, comme chez tous les grands cinéastes, il y a chez elle comme une petite perversité envers les personnages. Et heureusement d’ailleurs ! »
Voyages en Italie de Sophie Letourneur, Météore Films (1 h 31), sortie le 29 mars
image (c) Bridgeman