Mots croisés — Gaspar Noé : « J’aime bien quand un film se rapproche du langage des rêves »

Gaspar Noé revient avec Lux Aeterna, un film-rituel invoquant tous les mauvais esprits du cinéma. Si la réalisatrice Béatrice Dalle et son actrice Charlotte Gainsbourg (dans leurs propres rôles) sont confrontées à des forces noires s’invitant sur un tournage, les fantômes de Fassbinder, Dreyer ou Buñuel viennent aussi semer le chaos à coups de panneaux-citations théorisant la


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Gaspar Noé revient avec Lux Aeterna, un film-rituel invoquant tous les mauvais esprits du cinéma. Si la réalisatrice Béatrice Dalle et son actrice Charlotte Gainsbourg (dans leurs propres rôles) sont confrontées à des forces noires s’invitant sur un tournage, les fantômes de Fassbinder, Dreyer ou Buñuel viennent aussi semer le chaos à coups de panneaux-citations théorisant la violence de la mise en scène. Ce qui nous a donné l’idée de faire réagir Noé à quelques maximes blasphématoires.

Antonin Artaud c Collection Christophel

© Collection Christophel

« Le cinéma brut, et pris tel qu’il est, dans l’abstrait, dégage un peu de cette atmosphère de transe éminemment favorable à certaines révélations. » 

Antonin Artaud, Sorcellerie et cinéma, 1927

Le cinéma de transe me parle beaucoup. J’aime bien quand un film se rapproche du langage des rêves, des cauchemars, ou de ces états seconds produits par l’absorption de produits psychédéliques. Avec Lux Aeterna, beaucoup de gens m’ont justement dit qu’ils avaient l’impression d’être drogués en sortant. Je joue sur les stroboscopes et, oui, ça, ça peut mettre dans un état de transe. Pas mal de réalisateurs comme Paul Sharits ou Tony Conrad ont fait des films avec du « flicker », ça veut dire « battements de lumière » en anglais. Selon la vitesse du flicker, 3, 8 ou 12 flashs par seconde, on ne rentre pas dans le même état mental. Je sais que moi, le truc qui me tape le plus sur le système c’est tout simplement l’alternance d’une image noire et une image blanche, ce qui fait 12 flashes sur les 24 images par seconde d’un film cinéma.

Tout à coup on a l’impression que les pensées s’accélèrent ou se ralentissent. À la fin d’Irréversible (2002), il y avait un flicker en noir et blanc : sur demande du distributeur j’avais dû le raccourcir parce qu’on me disait que ça allait provoquer des crises d’épilepsie chez certaines personnes. Depuis ce jour-là, je me disais qu’un jour je ferai un flicker interminable.

Kenneth Anger c Collection Christophel

© Collection Christophel

« Je voulais comprendre ce qui se cachait derrière ce décor. On me parlait de la magie du cinéma. Mais je ne voyais plus seulement de la magie. D’autres choses aussi, qui traduisaient tout simplement l’envers du décor. »

Kenneth Anger à propos de son livre Hollywood Babylon, Le Monde, 2013

Ce qui est fascinant avec Kenneth Anger, c’est que, enfant, il a joué le petit prince dans A Midsummer’s Night Dream (1935), l’une des plus belles et féériques adaptations de Shakespeare, avec Mickey Rooney qui incarnait un petit Lucifer avec des cornes. A l’âge de cinq ans, il a été plongé dans un énorme studio de cinéma avec tous ces diablotins et c’est comme si, toute sa vie, il avait voulu retrouver ces sensations-là avec ses propres films.

Moi, j’ai été marqué par 2001, L’Odyssée de l’espace (1968) qui a été ma première expérience psychédélique, j’avais 6 ou 7 ans. Je me suis dit, tiens, j’aimerais bien savoir comment le réalisateur a réussi à faire ce film. Je voulais être comme le Magicien d’Oz qui avait crée tout un univers. 

Carl Dreyer c Collection Christophel

© Collection Christophel

« Nous, metteurs en scène, avons une grande responsabilité. Il nous appartient d’élever le film du plan de l’industrie à celui de l’art. »

Carl Th. Dreyer, Réflexions sur mon métier, 1983

 Souvent, la liberté qu’on t’accorde est proportionnelle au risque financier encouru. Si on te donne un ou deux millions d’euros, tu es libre de faire ce que tu veux. Mais sur un projet à huit millions d’euros, il va falloir des noms connus, faire valider le film par les coproducteurs, tu ne t’en sors pas. Je me sens plus à l’aise quand on me dit : “Tu as ce petit budget, mais tu as carte blanche”, comme ça a été le cas avec Anthony Vaccarello sur Lux Æterna.

Je ne veux pas avoir de pseudo “créatifs” d’agence de pub sur le dos qui m’expliquent ce que je dois faire. C’est vraiment un monde atroce, la pub et la com. Le tournage le plus cauchemardesque que j’ai vécu c’était sur un spot de prévention contre le sida. Il y avait des acteurs africains heureux d’être ultra bien sapés dans une boîte de nuit, mais la cliente et les créatifs m’ont demandé qu’on les habille en boubou pour que les Français puissent les identifier comme “migrants”. Je leur ai dit que je ne pouvais pas faire ça, et je les ai tous envoyés péter, comme Béatrice dans mon film. Heureusement, le producteur était à 100 % de mon côté. 

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Lou Reed c Collection Christophel

© Collection Christophel

Here they come now / See them run now /Here they come now /Chelsea Girls

Lou Reed, dans la chanson Chelsea Girl de Nico

Le DVD de Chelsea Girls d’Andy Warhol , je l’ai acheté en Italie il y a un mois, et j’en ai regardé un bout la semaine dernière, mais je ne l’avais pas vu avant. Cette idée du split screen, je dirais qu’elle vient plus de New-York. 42ème rue de Paul Morrissey ou de L’Étrangleur de Boston de Richard Fleischer.  

Mais, comme tout est improvisé, je ne savais en fait pas du tout quel serait le style du film. Je me disais que j’allais peut-être faire des plans-séquences reliés de manière invisible, comme dans Climax. Seulement le premier jour de tournage a été un tel bordel que j’ai changé mon fusil d’épaule : ce film, contrairement à mes précédents, j’allais le monter. Et tant qu’à faire du montage, j’ai confié d’autres caméras à mon chef opérateur Benoît Debie et à Tom Kan , dont le personnage réalise un making of sur le film de Béatrice. Quand je suis arrivé en salle de montage, je ne savais pas du tout ce qu’ils avaient filmé ! C’était drôle parce que, du coup, j’avais l’impression que le film était aux deux tiers réalisé par d’autres. »

Bunuel c Collection Christophel« Grâce à Dieu, je suis athée. »

Luis Buñuel, Mon dernier soupir, 1982

Mon père, qui a eu une éducation catholique soft et s’est ensuite comporté comme agnostique, me disait « Tu ne dois pas pas dire que t’es athée, dis que t’es agnostique ! » Je lui répondais : « Papa, fous-moi la paix, maman est athée et je suis avec elle. » Ma mère était en révolte, elle avait eu une éducation religieuse chez les bonnes sœurs qu’elle détestait car elles l’empêchaient d’aller au cinéma, l’antre du diable. Buñuel, on voit bien qu’il a un pied dehors, un pied dedans. Beaucoup de gens qui se disent athées toute leur vie, quand ils sentent la mort venir, ils appellent un curé, des fois qu’il y ait un enfer …  Mais, pour moi, être athée, c’est juste être logique. Beaucoup de sectes nagent dans le sang, mais celles qui y ont le plus nagé, on les appelle des religions. 

Lux Aeterna de Gaspar Noé / Ufo Distribution/ Potemkine Films, 50 minutes

Sortie le 23 septembre

Photographie : © Marie Rouge pour TROISCOULEURS