[MOTS CROISÉS] John Cameron Mitchell : « J’ai voulu explorer le côté punk de la queerness. »

Auteur des cultes « Hedwig And The Angry Inch » et « Shortbus », deux films en forme d’utopies queer, John Cameron Mitchell était l’invité d’honneur du FIFIB, avant que ne s’ouvre sa rétrospective à la Cinémathèque française. Pour l’occasion, on lui a demandé de réagir à des citations qui résonnent avec son univers flamboyant et transgressif.


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« Je reviens sur des choses que je pensais quand j’avais 12 ans. Et je cherche toujours les mêmes choses aujourd’hui. » James dans Shortbus (2006) de John Cameron Mitchell

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« Quand j’avais 12 ans, j’étais en pension en Écosse, dans un pensionnat de garçons bénédictins. Je pense que je suis à la recherche des mêmes choses qu’à l’époque, en termes d’amour et d’art. Je faisais des bandes dessinées, les livres étaient mon refuge. J’ai écrit sur cette période dans ma série de podcasts, Anthem : Homunculus (2019), qui était en quelque sorte mon autobiographie fantasmée. C’est sain de regarder en arrière, mais seulement si c’est utile pour le présent. Vous savez, beaucoup de gens surmontent des situations très difficiles sans avoir besoin de reconsidérer ce qu’ils ont vécu. Certaines personnes peuvent être obsédées par leur passé, le ressasser au lieu de vivre leur vie, de se trouver un avenir. Aujourd’hui, la tendance est de raconter sa propre histoire. Quand Shortbus est ressorti au début de l’année, un spectateur m’a demandé : « C’est vraiment votre histoire, cette femme asiatique qui cherche comment avoir un orgasme ? » J’ai répondu : « Oui, ça l’est. »

Parce que quand j’écrivais le scénario, c’était vraiment en collaboration avec les acteurs. Donc ce personnage, c’est partiellement moi et celui de l’actrice Sook-Yin Lee. Quand vous vous laissez porté par votre imagination, il faut le faire de manière informée et empathique, non pas cynique et simpliste. Car ça se sent lorsque quelqu’un n’honore pas ses personnages, quand il les utilise comme des marionnettes. Si on ne raconte que nos propres histoires, on devient narcissique. Je serais heureux que quelqu’un d’autre regarde ma vie, en fasse ce qu’il veut, tout comme je m’intéresse à la vie des autres. On peut le faire avec amour et respect. Le but de la fiction, c’est d’être capable d’empathie. » 

QUEER GUEST · John Cameron Mitchell : « À cette époque, les queer au cinéma étaient tourmentés, méchants ou juste là pour faire rire. »

« Pas de révolution sans révolution sexuelle. Pas de révolution sexuelle sans révolution homosexuelle. » Bruce LaBruce, The Raspberry Reich, 2004

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« Bruce a raison. Toute les organisations fascistes ou totalitaires ont été queer-phobiques, misogynes ou s’en prenaient aux dissidents du genre. Leurs membres voulaient réguler le sexe, tout simplement parce que le sexe a un pouvoir dont ils ont peur. »

« En montrant explicitement des actes intimes, mon but n’est pas la titillation ou l’excitation. Mais de disséquer mes obsessions. » Lydia Lunch dans Libération, 1997

« J’ai toujours adoré Lydia Lunch [chanteuse, actrice, et écrivaine, figure du mouvement Cinéma de la transgression, ndlr]. Elle est un peu scary, mais c’est une artiste très pure, plus avant-gardiste que moi. Je suis d’accord avec ce qu’elle dit. Je ne suis pas le type qui va comme elle explorer les zones les plus extrêmes. Mais pour moi c’est une perte de temps d’aller vers des espaces où je me sens totalement en sécurité. Mes obsessions peuvent être mes peurs, par exemple à propos du sexe, de la perte de contrôle dans le sexe. J’ai grandi dans un environnement très catholique, où tout ce qui avait trait au sexe était évité, hyper contrôlé. Ignorer quelque chose d’aussi puissant que le sexe me semble dangereux… Dans mes films, je m’intéresse à cette question très américaine, la liberté de l’individu versus la sécurité offerte par la communauté. Les façons alternatives de faire communauté tout en honorant l’individu m’ont toujours intéressé. »

John Cameron Mitchell : radicaux libres

« Beaucoup d’entre nous recherchent une communauté uniquement par peur de la solitude. Savoir être seul est primordial dans l’art d’aimer. Lorsque nous savons être seuls, on n’objective pas les autres en les utilisant comme un moyen d’évasion. » Bell Hooks, À propos d’amour, 1999

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« Je pense que c’est très vrai. Dans mon travail, il y a toujours cette question : seul, ou pas seul, qu’est-ce que cela signifie ? Souvent, la conclusion, c’est que la solitude est une impasse – pas pour tout le monde, et j’aime bien avoir du temps pour moi, j’en ai même besoin. Mais je sais aussi que ça peut mener à une sorte de psychose, ou à une illusion qui serait que vous êtes la seule personne qui vaut la peine. Vous savez, la culture digitale nous fait nous sentir plus seuls.  Mais elle a aussi aidé plein de gens qui se sentaient différents à trouver leur identité, elle les a probablement sauvés. Le problème, c’est qu’elle a basculé il y a environ dix ans, elle est devenue une sorte de boulet, en particulier pour les plus jeunes : elle nous entraîne à toujours vouloir nous comparer et nous mesurer, à nous mettre en valeur, à nous adapter à une version capitaliste de la sexualité et des genres…»

« Rock Show / Vous êtes venus voir un rock show / Un grand et gigantesque cockshow. » Peaches, Rock Show, 2001

« J’adore Peaches, on a déjà performé ensemble à Berlin. Elle est de mon monde, je suis du sien. C’est le théâtre mélangé au rock’n’roll. On descend de David Bowie, qui lui-même descendait de Little Richard. Pour certains la lignée est basée sur un ADN biologique, nous ce serait plus un ADN spirituel. Je peux faire remonter mes premières influences queer à Walt Whitman, Oscar Wilde, Jean Genet, William Burroughs, James Baldwin… Quand j’étais jeune, dans les seventies, il y avait peu de représentations queer.

À cette époque, quand les queers au cinéma n’étaient pas tourmentés, ils étaient ou les méchants, ou juste là pour faire rire. C’étaient les trois options. Et puis je me suis mis à lire un auteur de L.A., John Rechy, qui a beaucoup contribué à la littérature chicano [issue de la culture américano-mexicaine, ndlr], avec par exemple Cité de la nuit en 1963. Il était prof d’anglais le jour et prostitué la nuit. Il écrivait beaucoup sur la culture gay underground dans les sixties et les seventies. Je me souviens avoir lu ses livres alors que je tenais un magasin de fringues militaires. [Son père était général dans l’armée américaine, John Cameron Mitchell a grandi dans des bases aux Etats-Unis et en Allemagne, ndlr.] 

C’est fou parce que dans mon souvenir, en Allemagne, la librairie militaire vendait The Joy Of Gay Sex [livre culte en forme de manuel de la sexualité gay écrit par Charles Silverstein et Edmund White et paru en 1977, ndlr]… c’était les années 1970 ! Il y avait quelque chose dans ces lectures qui me semblait plus transgressif. L’underground, c’était mon endroit. C’était plus romantique, puissant, je n’avais aucune envie de m’identifier à la culture mainstream. C’était comme dire : « Je suis différent, et je dois être respecté. » J’ai voulu explorer ce côté punk de la queerness en écoutant Pete Shelley, le leader des Buzzcocks, Darby Crash du groupe The Germs, ou encore Bob Mould, ces punk rockers queer qui m’inspirent toujours. »  

« Le privilège d’être queer, c’est de tout remettre en question, et principalement la conformité. »

« On ne réalise pas des films pour que les gens soient conscients, ils sont déjà conscients. Plus que de les rendre conscients, ce qui est important c’est de les amener à oser questionner quelque chose. » Mohsen Makhmalbaf dans la revue Cinéaste, 2009

« Dans les années 1960, on parlait d’ « éveil de la conscience », ce qui veut dire qu’elle est bien là, mais qu’elle doit être comme ravivée. Et je pense que l’art, surtout l’art narratif, peut stimuler l’empathie et l’action. L’avantage, le privilège d’être queer, c’est de tout remettre en question, et principalement la conformité. Malheureusement, les humains se sentent plus en sécurité quand ils font ce que tout le monde fait. Et certains queers peuvent aussi être comme ça – ça ne fait pas de vous forcément une bonne personne ou quelqu’un d’intéressant, mais ça vous donne l’opportunité d’être différent, de regarder le monde de manière sceptique ce qui, selon certains, vous rend critique. Mais le vrai scepticisme a pour but de trouver la vérité, pas seulement de dénoncer les mensonges. »

« C’est comme ça avec certaines personnes. Ils s’en prennent à une chose alors qu’ils n’y connaissent rien. » Mark Twain, Les Aventures d’Huckleberry Finn, 1884

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«  Huck Finn, c’est un rôle que j’ai joué deux fois [c’était son tout premier rôle au théâtre en 1985, ndlr]. C’est peut-être mon œuvre de littérature américaine préférée avec Les Raisins de la colère. C’est plein de blagues et d’ironie. Le livre est parfois taxé de racisme parce qu’il y a des mots d’une autre époque. Je pense qu’effacer ces mots n’est pas la bonne solution. Car les sentiments restent. Comment examiner le racisme sans le montrer ? C’est beaucoup mieux de pouvoir analyser ce racisme pleinement pour en saisir toute la complexité. En ce moment, le fait même de représenter un personnage raciste dans une œuvre qui ne l’est pas peut être considéré comme offensant. Il y a une panique, tout ce qui met mal à l’aise est un abus. L’idée du punk est très dénaturée aujourd’hui, mais l’idée de départ c’était justement de remettre en question le statu quo par des moyens extrêmes. Tout était possible, même s’emparer et détourner l’imagerie la plus laide, raciste, nazie, pour montrer l’extrémité dont l’humanité est capable. »

« Je suis cinéphile. Plus précisément, je suis un cinéphile pédé, je suis un cinéphile qui considère sa position sociale sexuelle comme importante, comme constitutive de son rapport à l’art, à la culture et aux moyens d’expression. Je suis un cinéphile qui fait un lien entre aimer les garçons et aimer les films très fort. Dans les deux cas, c’est une question de goût. Une question de mauvais goût. » Marguerin Le Louvier, « Le mauvais goût des femmes et des homosexuels » dans Anthologies douteuses (2010-2020), co-écrit avec Elodie Petit, 2021

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« J’imagine qu’il assimile l’amour érotique gay à l’amour artistique – ce qui implique une métaphore. Le danger de faire d’une personne une métaphore est de ne pas la respecter en tant qu’être humain à part entière. Un film n’est pas une personne vivante. Mais il peut avoir des attributs similaires : il peut changer votre vie, vous pouvez avoir une relation avec, découvrir des nouvelles choses de lui au fil du temps. Une femme sous influence de John Cassavetes, Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman ou Nashville de Robert Altman, Un instant d’innocence de Mohsen Makhmalbaf… Mes films préférés ont des secrets qui se sont révélés à différents instants de ma vie, parce qu’ils étaient assez complexes pour ça. »