« C’est l’histoire d’un homme qui décide de tout prendre À LA LETTRE. » Au bord de l’aurore de F. J. Ossang (Warwillers, 1994)
« J’avais écrit un scénario, mais je n’arrivais pas à faire le film, alors j’ai écrit ce livre. Le scénar c’était Au nord de l’aurore, alors j’ai intitulé le livre Au bord de l’aurore. C’était une sorte de carnet de bord entre l’Argentine et l’Espagne. L’idée, c’était de tout prendre à la lettre. Tout ce qui est métaphore devient vertigineux et radical. Par exemple : “On se tire !” – puis, pan, coup de feu. »
« Écrire n’est rien d’autre que ça : non pas une évasion hors de la réalité, mais une tentative pour changer la réalité, de sorte que l’écrivain peut s’évader des limites de la réalité. » Ultimes paroles de William S. Burroughs (Christian Bourgois, 1997)
« C’est un immense écrivain. J’ai édité deux textes de lui [dans la revue semestrielle Cée et pour la maison d’édition Céedition, qu’il a cofondées en 1977 avec le poète Luc-Olivier d’Algange, ndlr], et j’ai aussi écrit un petit livre sur lui, W. S. Burroughs vs formule-mort, en 2009. On était fous de Louis-Ferdinand Céline, de Guy Debord, d’Antonin Artaud et de William S. Burroughs, ils étaient pour nous les quatre piliers de la sagesse. Ce que j’ai écrit sur Burroughs, c’était pas le texte d’un homme savant, ou d’un poète enseignant. C’était au contraire celui d’un poète amateur, d’un petit qui parlait d’un grand. C’était donner des clés, dire pourquoi j’aimais passionnément cet auteur. Je me reconnais dans ce qu’il dit. À la fois dans le fait que la réalité n’existe pas, et dans le fait qu’écrire ou réaliser un film ça dédouble la réalité. Il arrive qu’un auteur invente un monde instantanément ; c’était son cas. »
« Ses dialogues, il faudrait pouvoir les dire dans un cercueil ou un tombeau de glace. » Elvire, actrice et compagne de F. J. Ossang, TROISCOULEURS no 159, mars-avril 2018)
« C’est vrai que, quand il fait chaud, mes dialogues sont pas faciles à dire. Ça, c’était un truc entre Elvire et Jack Belsen, le guitariste de mon groupe de noise ’n’ roll MKB Fraction Provisoire. Jack est mort en décembre 2018. On s’est connu en 1979, un peu par hasard, et ça a été le début de MKB. Il connaissait des bouts de dialogue par cœur, et il les citait de manière un peu absurde. Ça m’amusait bien… Tous mes films ont été écrits différemment. L’Affaire des divisions Morituri (1985), Le Trésor des îles Chiennes (1991), je rêvais que ce soient des films d’aventure. Je ne réfléchissais pas avant-garde, expérimental. Finalement, le budget étant réduit drastiquement, j’ai dû comprimer. Je voulais dévorer le cinéma, et puis bon on m’a un peu calmé. Alors ce sont devenus des films d’aventure intérieure. Le film de genre, c’est un petit peu à la mode, et c’est pas toujours à propos. Moi, mon truc, c’était de vampiriser le genre. »
« À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » « Pain et vin » de Friedrich Hölderlin
« L’écrivain Jean-Christophe Bailly avait fait une anthologie où il reposait la question de Hölderlin à des artistes. Samuel Beckett avait répondu : “Je n’en ai pas la moindre idée !” Ça se pose aussi pour le cinéma, qui s’est suicidé par ses protagonistes même. Aujourd’hui on ne peut faire que des films très peu chers ou très chers. J’essaye de répondre à la question dans mon livre Mercure insolent. Mais je ne me rappelle plus ce que j’ai dit. Alzheimer ! »
« F. J. autobiographie des kids chimiques. F. J. big bang du coma technologique. F. J. au sourire de Winchester. » « Note de Claude Pélieu » dans Au bord de l’aurore de F. J Ossang (Warwillers, 1994)
« Il y a eu une fraternité instinctive entre les beats comme lui – les premiers hein, pas les babas hippies – et les punks comme moi. Claude était un très grand ami, une rencontre capitale. J’avais lu son livre Infra noir, qui m’avait beaucoup plu, puis je lui ai écrit pour lui proposer de faire un numéro spécial de Cée qui lui serait consacré. Il m’a répondu en reprenant un de mes textes par fragments, j’étais très honoré. On avait vingt-deux ans de différence, moi j’avais 20 ans – il m’appelait Kiddo –, lui la quarantaine. Tout de suite ça a démarré fort, on s’est beaucoup écrit. Il a débarqué aux États-Unis en 1962, et je crois qu’Allen Ginsberg et William S. Burroughs l’ont tout de suite adopté. Là, très vite, il a inventé une façon d’écrire, ça a été un big bang. Tous les Burroughs sont traduits par lui et c’est génial. Il n’avait d’yeux que pour les ivrognes, les fous, les imbéciles. Go for lunatics. »
« Sans le soleil, impossible de comprendre l’Amérique du Sud. » Pérégrinations argentines de Witold Gombrowicz
« J’adore le journal de Gombrowicz, je le relis tous les étés, quel que soit l’endroit où je me trouve. Au début des années 2000, j’essayais de faire des films en Argentine, j’avais un peu d’argent, et comme c’était la faillite là-bas… Mais je n’y suis jamais arrivé. À Buenos Aires, il y avait ce bar génial, avec quatre mètres de hauteur sous plafond, c’était le Café Tortoni, un très haut lieu du tango. Il faisait 34 °C mais, le ressenti, c’est plutôt 44 °C. C’est là que j’ai compris que, alcool bien tassé plus chaleur étouffante, c’est pas un bon cocktail. Pour la chaleur j’ai un truc. Pendant le tournage de Docteur Chance, tout le monde se foutait de ma gueule, parce qu’il faisait 46 °C et que moi j’avais mon blouson en cuir. Si tu roules à moto, avec l’air tu n’as pas chaud, donc tu te déshydrates. Tandis que si tu gardes ton cuir, c’est un peu la technique touareg. »
« Plutôt que le voyage, la fuite. » Génération Néant de F. J. Ossang
« Ça doit être vrai, hein. J’étais jeune quand j’ai écrit ça, au tout début 1980, après que mon ami Thierry s’est tué en voiture sur la nationale Paris-Bordeaux. Ça a été un choc. La fuite, c’est un voyage. Une question que je me pose, c’est comment fuir ? où fuir ? Quand il faut affronter des situations, dans la fuite, il y a une urgence… Ça ne résout pas les questions, ça les brûle ! »
« Notre génération n’est plus une génération, mais ce qui reste, le rebut et le coupon d’une génération qui promettait, hélas, plus qu’aucune autre. Tout au monde est désaxé, tout. Rien n’échappe à cette loi de folie, à ce malaise qui précède une aube que nous ne verrons même point. » Journal 1919-1924 de Mireille Havet
« C’est magnifique. J’imagine que ça a dû être écrit dans les années 1920 ? C’est une époque que j’ai divinisée. C’est tout ce que je préfère en littérature, en poésie. Au cinéma aussi d’ailleurs. Le génie punk des années 1920, c’est F. W. Murnau. C’est hallucinant tout le prodige de machinerie qu’il emploie. Après, bon, les caméras deviennent toutes petites. Le punk, j’ai pensé que c’était dada qui recommençait. Je fantasmais beaucoup dessus, pas seulement sur la musique, c’était comme sortir de cette poésie de merde, de ces poètes à la con qui constipent, congestionnent. Pour moi, c’était ça, c’était tabula rasa. »
« Rétrospective F. J. Ossang » (Solaris), ressortie le 24 août
Génération Néant de F. J. Ossang (Les Presses du réel, 432 p., 23 €)
F. J. Ossang. Cinéaste à la lettre de Michèle Collery (Rouge profond, 154 p., 17 €)