MICROSCOPE : une cerise dans « Il était une fois en Amérique »

Ce soir, Arte rediffuse à 21h05 cette fresque proustienne sur les souvenirs d’un ancien gangster en pleine période de prohibition.


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Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : la cerise sur le gâteau d’Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984).

C’est l’une des plus belles scènes du film. Scène muette, attentive, qui prend le temps de faire ce qu’elle a à faire : observer un enfant. Patsy n’a pas plus de 12 ans, ses cheveux sont très noirs et ses yeux très bleus. Il est assis penaud sur un palier qui n’est pas le sien, avec une pâtisserie dans les mains. De le voir seul est déjà touchant, lui qui le reste du temps n’est qu’en bande – sa bande, trois autres petits voyous juifs à joues lisses de bébé, quelque part dans le Lower East Side aux premières années de la prohibition. Noodles, le chef de la bande, lui a raconté que Peggy, une fille du quartier un peu plus âgée qu’eux, ne se montrait pas farouche à qui voulait bien lui offrir sa pâtisserie préférée, une charlotte russe. New York, dit-on, raffolait à l’époque de ces gâteaux coiffés d’une couche épaisse de crème fouettée et d’une unique cerise confite au marasquin. Patsy a demandé la plus grosse charlotte du magasin, et insisté pour qu’on lui fasse un beau paquet.

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Mais Peggy, quand il se décide à frapper à sa porte, est occupée à prendre son bain : c’est sa mère qui ouvre, oui Peggy est bien là mais elle prend son bain, il va falloir attendre un peu – et la mère ayant dit cela ouvre un peu plus la porte, révélant au regard de Patsy, qui manque s’évanouir sous la poussée de son désir gauche, le dos nu et ruisselant d’eau chaude de Peggy. La porte refermée, Patsy s’assied comme il peut sur le palier qui n’est pas grand, accompagné de sa pâtisserie fastueusement emballée. C’est ici, bien sûr, que commence le plus beau de la scène. Patsy est secoué par des désirs d’homme mais il reste un enfant, et l’on comprend vite, à le voir lorgner sur le paquet, que la tentation du sucre sera plus forte que celle du dos rosé de Peggy. Le détail, le point d’incandescence de cette scène magnifique, est-ce la cerise ? Pas tout à fait. La cerise n’a rien d’un détail, elle est là pour focaliser l’attention et ramener tout à l’évidente indécence de ce téton rouge luisant sur la crème immaculée, qu’un enfant vient échanger contre un peu de chair à toucher sans voir que le gâteau lui-même est plus lubrique que ses pensées.

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Mais justement : la lourde charge symbolique qui pèse sur la cerise laissait imaginer qu’il la mangerait en dernier, en signe ultime de son renoncement et de la victoire de sa gourmandise sur son envie de grandir, en somme par dépit d’avoir mangé entièrement le gâteau qu’il croyait se contenter de goûter. De fait, après avoir considéré très brièvement la cerise, Patsy commence par récolter un peu de crème sur l’emballage qu’il replie aussitôt, encore convaincu qu’il saura résister, et alors on croit vraiment au début d’un lent strip-tease pâtissier. Sauf que Patsy, rouvrant le paquet, fait un choix net en s’attaquant d’emblée à la cerise. Voilà le détail superbe : que le petit fruit obscène soit englouti à ce moment-là plutôt qu’à la fin, et qu’en le croquant l’enfant montre moins une défaite qu’une franche résolution en faveur du plaisir le plus proche. Voilà ce que Leone choisit de filmer : une joie d’enfant plutôt que la honte de ne pas réussir à se hisser jusqu’aux joies adultes. Un véritable moment de sensualité, simplement déplacé d’un corps de fille vers un gâteau, et une petite cerise brillante.

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