La pharmacie maternelle, dans le XVIIIe arr. de Paris
J’ai grandi dans une pharmacie, celle de ma mère, située tout en haut de la butte Montmartre, juste en face d’un petit square. Pour la bande de jeunes enfants vivant au sommet de la butte – nous étions une dizaine nés dans les années d’après-guerre –, ce square et le château d’eau trônant en son centre constituaient un inépuisable terrain de jeux. La pharmacie maternelle en était un autre, plus calme, plus secret, et qui m’était réservé. Elle était découpée en zones soigneusement hiérarchisées. Les couleurs jouaient un rôle essentiel pour distinguer rayons et étagères, pour identifier flacons, boîtes, pots et médicaments. L’armoire contenant les produits dangereux était signalée par une grande étiquette rouge, portant en terrifiantes lettres noires le mot « poisons ». Est-ce à cette armoire que je dois, encore aujourd’hui, d’avoir peur de tout ?
Philippe Descola : autoportrait en deux images et un objet
La palette de couleurs
De bonne heure, j’ai fréquenté les peintres et la peinture, ce qui explique sans doute mon intérêt précoce et durable pour les couleurs et leur univers. Trois des oncles de ma mère étaient artistes, et tous les appartements de ma famille maternelle étaient encombrés de tableaux, y compris dans la cuisine et la salle de bains. Du côté paternel, les peintres appartenaient au cercle des amis proches. Ils s’inscrivaient tous dans la mouvance surréaliste : Max Ernst, Yves Tanguy, Jean-Michel Atlan, Victor Brauner. André Breton, qui venait souvent chez nous, fut mon premier professeur de dessin. Sa tête trop grosse pour son corps et sa voix affectée me faisaient un peu peur. Mais il m’a appris à dessiner des animaux, surtout des poissons, et il m’a donné le goût de la couleur verte, sa couleur préférée, et celui des boîtes de peinture. Même très ordinaires, ce sont des objets magnifiques.
Une pièce d’échecs
Je ne suis pas collectionneur, mais, si je l’étais, je collectionnerais les pièces d’échecs anciennes, des objets qui me font rêver. Lycéen puis étudiant, j’ai été un joueur d’échecs enragé. Je reste fier d’avoir été deux années de suite (1966 et 1967) champion du lycée Henri-IV, à Paris, alors que j’y étais élève en classes préparatoires. Plus tard, je suis devenu historien du jeu, spécialement pour l’époque médiévale. Cette pièce, stylisée, en ivoire de morse, date des environs de l’an mille. Elle représente un aufin (alfinus) – équivalent de l’éléphant dans le jeu indo-arabe et du fou dans notre jeu moderne – réduit à ses seules défenses. Bien que d’apparence modeste, cet objet vieux de plus d’un millénaire est le plus précieux que je possède.
« Michel Pastoureau. Retracer l’histoire d’une couleur : le blanc », rencontre modérée par le journaliste Olivier Pascal-Moussellard, le 18 octobre au mk2 Bibliothèque à 20 h
tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | − 26 ans : 4,90 € | carte UGC/mk2 illimité à présenter en caisse : 9 € | tarif séance avec livre : 39,90 €
• Blanc. Histoire d’une couleur de Michel Pastoureau (Seuil, 240 p., 39,90 €)