SCÈNE CULTE · « Jofroi » de Marcel Pagnol

Empreint des dialogues poétiques et comiques chers au cinéaste-écrivain, cette chronique sur le désarroi d’un vieux fermier qui menace de se tuer pour conserver ses arbres est une fable moderne sur la responsabilité individuelle et collective vis-à-vis du vivant.


LA SCÈNE 

Le vieux Jofroi (Vincent Scotto) est un fermier dévoué à sa terre. Mais celui-ci décide pour assurer ses vieux jours de la vendre au costaud Fonse (Henri Poupon), bien décidé à en faire une culture de blé productive et surtout rentable. L’échange de bons procédés s’assombrit quand Jofroi surprend Fonse en train d’abattre un de ses arbres. La mésentente s’enlise et pour y remédier, Fonse somme plusieurs témoins de l’aider à dépatouiller l’affaire. 

Sont ainsi conviés : le curé du village (José Tyrand), l’instituteur (André Robert) et le jeune Tonin (Charles Blavette), un autre paysan. Si d’un point de vue légal, la terre est bel et bien la possession de Fonse, qui a déboursé la somme de 12 000 francs pour l’acquérir, le vieux Jofroi tente dans une longue tirade d’amener cette affaire sur un autre plan : le plan moral

L’ANALYSE DE SCÈNE 

Si la Trilogie marseillaise Marius, Fanny, César a imprégné l’imaginaire collectif, cette adaptation d’une nouvelle de Jean Giono est quant à elle restée confidentielle.

Sorti en 1933, Jofroi est une œuvre politique méconnue du cinéaste mais précurseure du cinéma pagnolien. Doté d’une éducation républicaine et anticléricale, Marcel Pagnol offre ici un plaidoyer efficace contre le sacré, au profit de l’harmonie entre tous les êtres vivants.

Il n’est pas anodin de réunir, dans cette scène en forme de procès officieux, un instituteur et un représentant de l’Église. Ces deux figures ont par le passé représenté les visages de l’autorité, notamment dans la France rurale du XIXème siècle, où l’influence des instituteurs s’est considérablement développée avec la mise en application des lois Ferry (adoptées en 1881 et 1882). Celles-ci consistaient à libérer progressivement l’enseignement de l’influence de l’Église.

Durant cet échange, la caméra, qui multiplie les pivotements, est semblable à une passation de micro pour les prises de parole. Si dans un premier temps, les plans sont suffisamment larges pour accueillir l’ensemble des personnages dans le champ, l’échelle des plans se rétrécit au fur et à mesure et isole les acteurs. Ainsi, lorsque Jofroi se lance dans sa longue plaidoirie écologiste, la caméra le filme – toujours au centre – mais seul, avec, tout au plus, l’amorce des autres protagonistes.

Jofroi va désacraliser les institutions représentées en les personnes de l’instituteur et du curé. Lorsque le religieux s’exprime favorablement pour le déracinement des arbres, Jofroi n’hésite pas à convoquer l’idée du paradis, en insistant sur l’absence de repos éternel pour nos amis végétaux.

De façon très simple et élémentaire, le vieux Jofroi interroge notre rapport au vivant. S’il est avéré par la communauté qu’aucun homme n’a le droit de vie ou de mort sur son pair, le vieux fermier questionne notre place autoproclamée de juge sur la nature qui, dès lors qu’elle ne rapporte plus, est condamnée à mort. Avec une ferveur verbale et une approche de l’espace toute politique, cette scène, sorte de tribunal populaire, apparait comme un plaidoyer pour le dialogue social.

Rétrospective Marcel Pagnol, jusqu’au 21 juillet, à la Cinémathèque française • « Marcel Pagnol 50 ans », rétrospective en 10 films, Carlotta Films, sortie le 24 juillet

Image : © Carlotta