- Article
- 5 min
John Cassavetes, parents à la dérive
- Quentin Grosset
- 2016-02-15
Dans Un enfant attend, le docteur Matthew Clark (Burt Lancaster), directeur d’une clinique pour enfants présentant des déficiences mentales, engage Jean Hansen (Judy Garland) comme musicothérapeute. Clark et Hansen se trouvent désemparés face à certains parents qui voudraient voir leurs bambins redevenir « normaux ». Dans ce troisième film – après Shadows, conçu en totale indépendance en 1959, et Too Late Blues, qui lui ouvre brièvement les portes de Hollywood en 1961 –, Cassavetes considère l’idée même de normalité comme relative. Les parents ont aussi leurs travers, et la volonté du cinéaste de pointer leur irresponsabilité est patente – Gena Rowlands, muse et épouse de Cassavetes, joue une mère qui abandonne quasiment son fils à l’institution. Mais ce parti pris se trouve écorné par le final cut, qui revient au producteur Stanley Kramer et au scénariste Abby Mann. Cassavetes voulait que les enfants-acteurs réellement handicapés soient au premier plan. Ils ont finalement une place moindre que les stars du film. Cette mauvaise expérience conduit le cinéaste à refuser désormais la tutelle des studios hollywodiens. C’est donc dans une forme plus personnelle que, dans Love Streams, adapté d’une de ses pièces, il met en scène d’autres parents à la dérive. Juste avant le tournage, le cinéaste apprend le décès de sa mère ; pendant le tournage, qu’il est atteint d’un cancer du pancréas. Malgré un plateau joyeux (comme en témoigne le making of présent dans le coffret), la tristesse de ces nouvelles infuse le film. Robert (Cassavetes lui-même), écrivain jouisseur, héberge sa sœur Sarah (Rowlands, dans sa dernière apparition dans un film de son mari), en froid avec sa fille et son époux, qui la trouvent trop déséquilibrée. Robert doit aussi composer avec un jeune fils qu’il ne connaît pas et dont il a la garde pour quelques jours. Le frère et la sœur, qui mènent chacun à leur façon une vie dissolue, font face à une société qui les juge nocifs à l’éducation de leurs enfants. Dans ce brillant récit erratique et douloureux autour de liens du sang qui se dénouent, Robert et Sarah récréent une cellule familiale sur laquelle la seule autorité qui s’exerce est celle d’un amour fraternel déglingué mais débordant.
Coffret John Cassavetes
Un enfant attend et Love Streams
Disponible le 24 février