« Le retour des hirondelles » de Li Ruijun : les moissons du ciel

Dans le sillage du cinéma ample et subversif de Jia Zhang-ke, le film du réalisateur chinois Li Ruijun – présenté en Compétition à Berlin en 2022 – cache, au cœur d’une fresque pastorale mélodramatique, un subtil renversement des images 
de propagande.


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Le récit du Retour des hirondelles tient en une phrase, mais s’étire, à l’écran, sur plus de deux heures : la vie quotidienne d’un couple de paysans chinois taiseux, mariés contre leur gré par leur famille, dont les jours scandés par les travaux des champs consistent à s’adopter progressivement l’un et l’autre. Cette dilatation permet à Li Ruijin d’assumer à la fois un ton mélodramatique et une esthétique affectée ou artificielle qui semble recréer toute une imagerie issue du réalisme socialiste d’antan. Se succèdent donc plusieurs tableaux de la vie rurale : le labourage, les moissons, les récoltes, dans un style volontairement allégorique et passéiste – les animaux de trait et les charrues n’ont pas encore été remplacés par des machines.

Le film est pourtant plus subtil dans ses détails. Il est encadré par deux courtes séquences qui suggèrent le pas de recul effectué par la mise en scène. La première figure la cérémonie du mariage arrangé : on y voit les deux personnages côte à côte, sur un fond rouge écarlate, peinant à se conformer aux consignes d’un photographe hors champ qui essaye tant bien que mal d’immortaliser une image joyeuse de leur union. La seconde, plus tard, montre le couple en train de découvrir un appartement moderne dans lequel il pourrait être relogé, grâce à l’amabilité d’un riche industriel de la région. Chose étonnante : une équipe de tournage est présente pour enregistrer la visite et s’en servir – on le suppose – dans un but communicationnel.

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Il est donc moins question, dans Le Retour des hirondelles, du couple que de « l’image du couple » qui traverse l’histoire chinoise récente, construite de toutes pièces et instrumentalisée aussi bien par la culture traditionnelle que par les diverses propagandes communistes et néolibérales qui se sont succédé. L’aspect quelque peu naïf du scénario semble donc être un leurre pour permettre à Li Ruijun de contourner la censure et de mettre à nu les images officielles qui simulent la joie pour cacher « sous la poussière » – comme le titre original du film l’indique – les violences des différents pouvoirs qui les produisent.

Le Retour des hirondelles de Li Ruijun, ARP Sélection (2 h 13), sortie le 8 février

Image (c) Rapid Eye Movies