En 1977, à l’occasion de la sortie de News From Home, la cinéaste belge évoquait dans l’émission Parlons cinéma son goût pour la marginalité – celle de ses personnages, mais aussi celle du cinéma indépendant, libre de toutes contraintes.
Ce qu’on apprécie, c’est la façon dont Chantal Akerman esquive en douceur les questions personnelles du journaliste pour les ramener vers un terrain plus universel, accessible, sociologique aussi – à l’image de son cinéma intime qui s’offre pourtant avec une grande limpidité. Ainsi, la réalisatrice évoque avec pudeur l’Holocauste auquel ont survécu ses parents juifs polonais (« Mes parents ont le côté raffiné des gens qui ont souffert ») avant de revenir sur ses débuts en tant que réalisatrice. Très jeune, elle comprend que la technique n’est pas une fin en soi. Elle se fait alors autodidacte : elle abandonne ses études pour se forger seule : « Pour l’expression, je m’en remettrai à moi-même et pas à des maîtres ».
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L’archive témoigne aussi de la dimension avant-gardiste d’Akerman, qui avait saisi que l’argent est le nerf de la guerre, que la marginalité est un moyen de se protéger du système :« Je me suis demandé combien coûterait un film de 13 minutes si on le fait dans des conditions minimales » explique-t-elle à propos de News From Home, documentaire de 1977 en forme de conversation épistolaire avec sa mère, dans lequel la cinéaste belge lit d’une voix fragile les mots de cette figure absente, pour la convoquer symboliquement à ses côtés.
D’ailleurs, l’hommage maternelle est l’un des fils rouge de sa filmographie, point de départ d’une réflexion pionnière sur le rôle des femmes dans la société, leurs désirs entravés, leur liberté niée. À propos de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, chronique sur l’aliénation d’une jeune veuve qui élève seule son fils et se prostitue chez elle (Delphine Seyrig), la cinéaste explique : « Quelque part, ce film est un film d’amour à ma mère. Il reconnaît l’existence de femmes comme elles, généralement niées. » Avant d’analyser en profondeur le rythme lent, dépressif du film, son découpage minimaliste qui permettent de saisir le vide d’une existence morne.
Pas tout à fait à l’aise avec le côté institutionnel et un peu conformiste du Festival de Cannes, la réalisatrice se paye même le luxe de railler, l’air de rien, cette petite mascarade : « Bien qu’il y ait énormément de films, il a de la place pour très peu de gens, et si on a écrasé son voisin, on a plus de chance de pouvoir respirer à l’aise ». Voilà qui est (crûment mais joliment) dit.