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« La Vie selon Ann » : ovni new-yorkais

  • David Ezan
  • 2024-05-02

Sous ce titre de film léger se cache une artiste excentrique : Joanna Arnow, réalisatrice, scénariste, monteuse, héroïne de cet ovni sur la vie d’une trentenaire new-yorkaise blasée adepte de BDSM. Un petit bijou de cruauté.

La Vie selon Ann est un film dont la forme radicale en désarçonnera plus d’un. On aurait tort de s’en priver, tant l’artiste new-yorkaise Joanna Arnow recourt ici à un incroyable exercice d’autofiction – et d’autoflagellation. Coproduit par Sean Baker (Tangerine, The Florida Project), le film s’inscrit logiquement dans la mouvance d’un cinéma indépendant américain volontiers trash et satirique. La Vie selon Ann se situerait alors dans son versant le plus fauché, le plus caustique aussi. Produit d’un héritage underground comme digéré par la culture Internet du mème, cet ovni met en scène le quotidien d’Ann ; autrement dit, une trentenaire célibataire un brin asociale, blasée par son bullshit job et dont le seul – mais précieux – plaisir consiste à jouer les femmes soumises avec des « maîtres » en BDSM (lire p. 8). Chapitrée selon les hommes qu’elle rencontre, le film surprend par sa structure épisodique digne d’une mouture angoissée – à moins qu’elle ne soit simplement adulte – des albums de Martine. Et impose un autre langage cinématographique, dans lequel la narration progresse par vignettes interposées ; on pense à la bande dessinée, mais ces tableaux (presque) immobiles évoquent surtout les gifs qu’on adore s’échanger sur les applis.

Avec beaucoup d’intuition, la cinéaste exploite cette forme dominante au profit d’une histoire et d’un personnage construits. Ann est en effet une pure héroïne de mème, dont le morne quotidien de bureau et les déboires affectifs sont prétextes à un cynisme hilarant. Version grandie de l’ado geek et marginale Daria (héroïne de la série du même nom), avec laquelle Joanna Arnow cultive une troublante ressemblance physique, ce personnage déjà iconique est aussi des plus fascinants. À travers Ann, la cinéaste nous enjoint de faire l’expérience de l’absurdité ; celle d’un monde social rongé par les rapports de subordination. La domination « choisie » par l’héroïne via le BDSM y devient alors comme une subversive sublimation, un exorcisme génial ; c’est là toute la cruelle tendresse du film.

La Vie selon Ann de Joanna Arnow, Pan (1 h 28), sortie le 8 mai

Image : © Ravenser Odd

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