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« La Noire de… » : le chef d’œuvre antiraciste d’Ousmane Sembene ressort en salles

  • Romain Nesme
  • 2024-10-09

{OLDIES} Récit d’affranchissement d’une jeune femme sénégalaise exploitée par un couple de Français, « La Noire de… » d’Ousmane Sembene, lauréat du Prix Jean Vigo 1966, revient en salles. Près de soixante ans après sa sortie, ce film reste un éblouissant brûlot politique contre le racisme et l’esclavage moderne.

À Dakar, Diouna (Mbissine Thérèse Diop, récemment vue dans Mignonnes de Maïmouna Doucouré) est une jeune femme qui recherche du travail. Quand elle finit par trouver un poste de nourrice auprès d’une famille française, elle est la plus heureuse du monde. Sa patronne, à qui elle offre un masque traditionnel pour la remercier, lui propose même de la faire venir en France pour s’occuper des enfants. Diouna se met alors à rêver à cet ailleurs où elle découvrirait la ville, les boutiques et les gens...

Seulement, à son arrivée dans l’appartement d’Antibes, les enfants ne sont pas là et la jeune sénégalaise doit se mettre à la cuisine, s’occuper du ménage. Elle devient rapidement la bonne à tout faire et l’attraction exotique du lieu que la maitresse de maison maltraite et humilie à sa guise.

Adapté d’une des nouvelles de son réalisateur Ousmane Sembene, elle-même inspirée d'un fait divers, La Noire de… sort en 1966, peu après l’indépendance du Sénégal. L’Afrique est alors en pleine vague de décolonisation et le récit de Diouna résonne comme un cri déchirant contre la violence de l’impérialisme blanc.

Cette histoire tragique, qui conduira sa protagoniste au suicide, se révèle avec intelligence, par strate, contrastant progressivement les images de cette famille bien rangée en vacances sur la côte d’Azur, jusqu'à à la lente descente en enfer du personnage de Diouna raconté en voix-off. Le style épuré des décors et de la mise en scène y joue pour beaucoup et redouble d'efficacité, tout comme la petite musique qui dessine l'idée d'une « douce France » - ironie terrifiante.

Dans la dernière partie de ce film d'un noir et blanc léché, le masque offert à la patronne revient hanter son mari comme une vengeance, une réincarnation, terrible cri d’outre-tombe. Comme pour nous rappeler que sur les mains des colonisateurs blancs coule le sang et qu’à jamais ils porteront en eux la responsabilité de la mort de Diouna.

« Il faisait partie des rares films qui me montraient que le cinéma pouvait être un outil profondément libérateur et politique » avoue la cinéaste Mati Diop - dont le récent Dahomey, Ours d'or à la Berlinale, documentait la restitution historique au Bénin de vingt-six trésors royaux, volés par l’armée coloniale française en 1892 - en évoquant la beauté de ce film qui questionne encore aujourd'hui avec une acuité contemporaine les rapports de domination raciale.

Image © Les Acacias

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