ÉDITO – Qui dit vrai ? La question irrigue toute l’œuvre de Justine Triet, de son premier court – pourtant sans paroles –, Sur place (2007), qui documentait les manifestations anti-CPE de 2006, à son éclatante Palme d’or, Anatomie d’une chute, qui met en scène une écrivaine accusée d’avoir assassiné son compagnon, en passant par les querelles survoltées d’un couple dans La Bataille de Solférino (2013) et par le procès d’une avocate sur le fil dans Victoria (2016). Seulement, la passionnante cinéaste utilise cette interrogation – fondamentale dans un procès – comme un MacGuffin, un prétexte permettant de dérouler des dizaines d’autres questions, en réalité bien plus éloquentes. Voilà même tout le programme d’Anatomie d’une chute, qui part des accusations portées contre cette héroïne complexe (incarnée par l’impressionnante actrice allemande Sandra Hüller – le rôle a même été écrit pour elle) pour scruter en gros plan le sillage de cette chute. Désosser pièce par pièce, mot à mot, minute par minute, les dynamiques de pouvoir dans un couple en fin de vie. Explorer l’endroit même où la vérité semble insaisissable, voire inexistante.
Justine Triet et Arthur Harari : « Dans un procès, on délire beaucoup de choses »« Anatomie d’une chute » de Justine Triet, vertiges du couple
Le malin jury cannois a choisi de couronner cette fresque d’une ambition folle, qui n’essaye pas de mettre de l’ordre dans le chaos, mais d’en saisir, à l’image du cinéma de Justine Triet, les (au moins) cinquante nuances. On a sauté de joie à l’annonce de cette Palme d’or – qui était précisément la nôtre – et en écoutant le discours nécessaire de Justine Triet sur la façon dont la révolte contre la réforme des retraites a été oblitérée, puis sa mise en garde concernant la menace pesant sur la précieuse exception culturelle française – celle qui lui permet justement de faire ses films, comme elle l’a dit. Avant de tomber des nues devant les réactions hallucinantes que le discours a suscitées. Le film de Justine Triet sort le 23 août, mais il nous semblait vital de célébrer au plus vite ce chef-d’œuvre et cette cinéaste française d’exception – l’une des plus grandes parmi les vivantes – pour dépasser ce faux procès. Non pas faire triompher la vérité, mais l’œuvre elle-même, coécrite avec le cinéaste Arthur Harari, son complice et compagnon. Ils nous ont donné un vertigineux entretien croisé à Cannes, qui atteste de leur fort engagement féministe et éthique, et de leur fabuleux goût pour la complexité.
5 films de Justine Triet qui scrutent les rapports de force