Figure du cinéma underground, Jonas Mekas (1922-2019) se fit défenseur acharné du cinéma indépendant. Dans son cinéma poétique, il accueillait tremblements, surexpositions et imperfections – ce que d’autres cinéastes cherchent à tout prix à éviter –, mêlait poèmes, haïkus, réflexions personnelles, maximes…
Reportage : sur les traces de Jonas Mekas
Connu pour avoir popularisé le journal filmé, Mekas est un pur déraciné, qui avait du très jeune fuir sa Lituanie natale en pleine Seconde Guerre mondiale, de peur que ses actions antifascistes soient révélées, pour rejoindre les Etats-Unis. Ses films (citons Lost Lost Lost, réalisé en 1976, ou plus récemment As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty, 2001) étaient à la fois une archive vivante et une ode à la beauté du quotidien.
JARDIN OUVERT
Au centre de l’exposition qui lui est consacrée à The Film Gallery se trouve une quarantaine de photogrammes, présentés en 2008 lors de l’exposition Summer Haiku: A Manifesto, organisée à la Serpentine Gallery de Londres. Ces images nous plongent dans une atmosphère estivale, bucolique et florale, au cœur de l’œuvre de Mekas – qui faisait des films comme on cultive un jardin.
En amoureux de la nature, Mekas a notamment marché, caméra en main, sur les traces du poète Pétrarque, en Provence, notamment à Cassis, que l’on voit exposée sur les murs, avec des photogrammes de petites marguerites s’agitant à côté de la mer. Sur ces mêmes murs, des photographies qui capturent des moments de vie, en famille notamment. Des instants de paisibilité – comme dans un autoportrait simple et émouvant, où Mekas se promène les pieds dans l’herbe.
Tout le long de notre balade, on éprouve une douce nostalgie, qui émane aussi bien des images et que des caméras anciennes. A côté d’une grande télévision, on peut tourner les belles pages de Ligne(s) de vie, un recueil de lettres manuscrites, que les frères Jonas et Adolfas Mekas ont envoyées à leur village natal de Semeniškiai (en Lituanie) – ces lettres sont adressées à leur mère.
Entre des images projetées et une grosse télé cathodique, un bouquet de fleurs est disposé sur le sol, comme sur la tombe d’un cimetière. On tombe aussi sur des extraits du film-posthume de Jonas Mekas, Requiem (2019). Emplie de fleurs, cette dernière œuvre est comme Summer Manifesto : un morceau du testament de Jonas Mekas, bercé par la Messe de Requiem de Verdi, à qui Mekas rendait alors hommage. En quittant cette exposition, on se dit, bouleversé, que cet artiste savait nous faire ressentir comme nul autre la beauté fragile du vivant.
« Summer Manifesto », jusqu’au 30 octobre à The Film Gallery
Image : © Jonas Mekas, Summer Manifesto, 2008. Courtesy of the Estate of Jonas Mekas