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Anna et César interviewent l’humoriste Laurent Sciamma
- Cécile Rosevaigue
- 2019-12-18
Dans son one-man-show Bonhomme, qu’il présentait tous les lundis sur la scène du Café de la Gare avant que les représentations ne soient annulées en raison du confinement, Laurent Sciamma venait « dézinguer le patriarcat« , grâce à un humour féministe et inclusif. À cette occasion, le comédien avait accepté de répondre aux questions d’Anna, élève en classe de seconde, et de César, en première.
As-tu toujours voulu être comédien ?
J’ai commencé le théâtre au lycée. Après le bac, je me suis inscrit au conservatoire. J’avais seize heures de cours par semaine, c’était du sérieux !
Tu n’as jamais douté ?
La comédie, c’était ma passion. Puis j’ai changé de voie, j’ai fait des études de graphisme, j’ai appris la photo… Mais la scène me manquait. Aujourd’hui je crée toujours des images, mais avec mes mots, avec mon jeu, et elles se déposent dans la tête du public.
Ta sœur Céline Sciamma est réalisatrice. Vous montiez des spectacles quand vous étiez petits ?
Grave ! Avec mes deux sœurs et mes cousins, on jouait des spectacles pendant les vacances et on se filmait. C’est touchant, parce que sur ces vidéos on se rend compte que Céline faisait déjà de la mise en scène.
Tu as tout de suite pensé aborder le thème du féminisme dans ton spectacle ?
Dès le début j’ai écrit des choses très intimes, mais aussi très politiques, sans vraiment savoir où j’allais. Je parlais de l’homophobie, du racisme, de la vie avec ma copine, de la virilité… Au moment de #MeToo, j’ai constaté qu’il y avait un grand déficit de parole masculine. Moi, ça me faisait beaucoup réagir. Je me suis dit : « Voilà, ça, c’est ta place. » Mais pas comme un truc opportuniste ou comme un créneau à prendre ! Féministe, je le suis depuis longtemps, et c’est en prenant du recul que j’ai compris que c’était mon sujet depuis le début.
Que penses-tu de l’affaire Polanski ? Tu vas aller voir son film J’accuse ?
Moi, je n’arrive pas à faire la différence entre l’homme et l’artiste. Quand j’ai vu le documentaire où des victimes de Michael Jackson témoignent, je n’ai plus réussi à l’écouter, alors que j’étais un grand fan de Michael. Ce n’est pas une question de principe, il s’agit d’expérience : si je suis à une fête, danser me rend joyeux ; si l’on passe du Michel Jackson, ça va me rendre triste. C’est pareil avec Polanski : si je vais voir son film, je vais penser à ce qu’il a fait, donc je n’ai pas envie d’y aller. Je ne veux pas cautionner un système qui estime qu’il peut être financé, sélectionné dans des festivals, récompensé, et ainsi contribuer à une culture du déni.
Comment changer les choses ?
Comme l’a dit Adèle Haenel , il faut déconstruire les récits. Par exemple, pour Michael Jackson, l’histoire qu’on nous a racontée était : « C’est un grand enfant, il a un parc d’attractions. Il aime les enfants car ce sont ses copains, et c’est pour ça qu’il dort avec eux. » Mais la vraie histoire, c’est que c’était un homme qui voulait dormir avec des enfants, et c’est pour ça qu’il a créé un parc d’attractions dans un désert. C’était un piège.
As-tu des modèles ?
Je suis un grand fan de Richard Pryor, un Afro-Américain qui faisait du stand-up dans les années 1970. C’était une énorme star, ce qui, à l’époque, était assez exceptionnel pour un humoriste noir. J’ai aussi beaucoup regardé Florence Foresti, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Courtemanche.
Serais-tu aussi sensible si tu avais eu deux grands frères ?
C’est difficile à savoir. mais avoir deux grandes sœurs a eu une vraie influence sur mon développement. J’ai eu accès à beaucoup de choses grâce à elles, elles ont créé un écosystème autour de moi qui m’a permis de ne pas nier ou censurer ma sensibilité.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA ET CÉSAR (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) — PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD
Le débrief
Anna : « Le spectacle était génial. J’ai aussi adoré l’ambiance, on se sentait bien ensemble dans cette salle. » César : « Laurent est passionné. Il a pris le temps de nous expliquer son travail et ses engagements. C’était intense. »