Isabella Rossellini évoque pour « Télérama » son rôle troublant dans « Blue Velvet »

L’actrice revient dans une interview passionnante sur la genèse de son personnage, et les influences artistiques qui irriguent ce polar vénéneux. Que reste-t-il de Blue Velvet vingt-quatre ans après sa sortie? Cette séquence d’ouverture profondément dérangeante dans laquelle, sous une pelouse verte immaculée, le jeune Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan) découvre une oreille humaine, qui nous


L’actrice revient dans une interview passionnante sur la genèse de son personnage, et les influences artistiques qui irriguent ce polar vénéneux.

Que reste-t-il de Blue Velvet vingt-quatre ans après sa sortie? Cette séquence d’ouverture profondément dérangeante dans laquelle, sous une pelouse verte immaculée, le jeune Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan) découvre une oreille humaine, qui nous plonge alors dans un monde sordide. Une peinture violente et perverse de la nature humaine, une enquête servant de prétexte pour dépeindre l’énergie érotique et dangereuse de personnages déviants…

Parmi ces visions bleutées et oniriques, il reste surtout l’image de son actrice principale, Isabelle Rossellini, dans le rôle de Dorothy Vallens, une chanteuse de cabaret aussi vénéneuse que fragile. Une interprétation nimbée de mystère, aussi bien devant que derrière la caméra. D’abord parce que David Lynch avait initialement proposé le rôle à Hanna Schygulla, qui déclina la proposition, avant de soumettre le scénario à Isabella Rossellini qui en tomba amoureuse. Ensuite parce que si sa performance nous paraît aujourd’hui incontestablement bluffante, l’actrice, qui était mannequin à l’époque, a vu sa carrière ternie par ce choix provocant : « Quand j’ai fait le film, beaucoup de gens ont perçu une image, comme si je me percevais moi-même comme une image ».  »  ». Je ne me considère pas comme une simple image, je fais ce qui m’intéresse. Donc, quand les gens n’ont pas aimé le film, ils l’ont utilisé pour se dire « oh, elle l’a utilisé pour se rebeller » ou pour s’autodétruire », expliquait-elle à IndieWire en 2018.

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Justement, à l’occasion du Festival Toute la mémoire du monde au Forum des images, l’actrice est revenue pour Télérama sur les souvenirs de ce tournage inoubliable avec une lucidité impressionnante, analysant avec recul les intentions qu’on lui a prêtées à l’époque, alors qu’elle était l’égérie de Lancôme : « Je n’essayais pas de donner une autre image de la femme, je voulais simplement faire un bon film. » Elle y révèle aussi la genèse étrange de son personnage: « David m’avait raconté qu’un jour, pendant son enfance, il avait vu une femme nue marcher dans la rue. La situation ne lui avait pas semblé cocasse ou excitante, il avait eu très peur, s’était mis à pleurer et était parti en courant. Il avait compris qu’il se passait quelque chose de très grave. Le personnage de Dorothy Vallens venait de là, il voulait qu’elle fasse peur et désoriente. » 
La comédienne évoque également les inspirations esthétiques du film, dont les scènes de nues évoquent les tableaux de Francis Bacon (« Bacon avait peint des nus qui semblaient se trouver dans un abattoir. David voulait quelque chose d’aussi radical »), mais aussi la photographie du de Nick Ut montrant une petite fille nue marchant sur une route vietnamienne après une attaque au napalm (« J’ai montré cette posture à David en lui proposant qu’on cherche une attitude qui dirait la même chose en m’exposant moins. Mais nous n’avons rien trouvé d’aussi fort. Alors, on a copié ce geste de la photo de Nick Ut »). 
Pour l’actrice, le film a d’abord été accueilli violemment parce qu’il « donnait une image sombre des États-Unis, pas facile à accepter », que le public s’est arrêté au récit avant de recevoir l’émotion provoquée son esthétique crépusculaire, sa lumière et ses cadrages millimétrés et hypnotiques.
Image: Copyright Capricci FILMS