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Valérie Donzelli

  • Juliette Reitzer
  • 2019-12-18

Dans "Notre Dame", la cinéaste ("La guerre est déclarée", "Marguerite et Julien") campe le premier rôle – celui de Maud Crayon, une quadra enjouée qui gère de front un projet faramineux de réaménagement du parvis de Notre-Dame de Paris, des enfants en bas âge, un ex perplexe et un nouvel amoureux. Sautillant sans entrave du burlesque au fantastique, de la comédie musicale à la satire et à la romance, ce film joueur, libéré de tous les carcans, arrive à point pour réenchanter Paris et le cinéma français.

Avec ce nouveau film, très libre, vous passez un cap?

C’est plus que ça, je ferme une boucle, un cycle de dix ans de films. Mon premier long métrage, La Reine des pommes, est sorti en 2009, et j’avais envie de rejouer le premier rôle dans un film, mais cette fois en complexifiant l’histoire et la mise en scène. C’est mon cinquième film, et je crois que j’ai peut-être plus confiance en moi. L’héroïne de Notre dame gagne un concours d’architecture et se retrouve à la tête d’un budget de 121 millions d’euros ; puis, finalement, bing! il n’y a plus rien. J’ai eu moi-même un parcours particulier dans le cinéma ; j’ai fait La guerre est déclarée, qui a été un succès qui m’a totalement dépassée, et puis après j’ai fait Marguerite et Julien, qui a été un échec qui m’a aussi dépassée. J’avais besoin de parler de tout ça ; de la vie d’une femme quadragénaire… et puis d’enfoncer un peu le clou de la comédie, et des films que j’aime, qui ne sont pas collés à une réalité, qui ne sont pas naturalistes, qui s’autorisent des choses.

On est peu habitués à autant de fantaisie dans le cinéma français, à part chez des cinéastes comme Pierre Étaix ou Jacques Tati. Vous vous situez dans quel héritage?

J’aurais peur que ce soit prétentieux, mais mes inspirations ce sont évidemment les films de Jacques Tati, Buster Keaton, Charlie Chaplin, François Truffaut, Jacques Demy, Woody Allen… Après, j’adore Alfred Hitchcock aussi, mais je ne pense pas avoir cette maîtrise de mise en scène. Je suis plus dans quelque chose d’artisanal.

Comment naît le comique dans votre cinéma?

Ça commence par l’écriture ; les dialogues, les situations… Puis ça s’accentue par la mise en scène. Pour Notre dame, l’idée était vraiment de faire une comédie pure. Le film a été pensé comme une bande dessinée, il est très découpé, avec des gags vraiment burlesques.

Vous êtes drôle dans la vie?

Je suis plutôt quelqu’un de joyeux, oui. Je ne suis pas l’exemple de la fille drôle dans les films mais sinistre dans la vie – il paraît que Louis de Funès n’était pas drôle du tout dans la vie. Je suis plutôt de bonne humeur, je suis contente de vivre. J’adore me lever le matin, commencer une nouvelle journée… Je veux vivre le plus longtemps possible. Parmi les éléments burlesques, il y a notamment ces gifles que les personnages se prennent de la part d’inconnus, en pleine rue… Ça m’est arrivé il y a longtemps. C’était à 5 heures du matin sur les Grands Boulevards. Un mec m’a foutu une énorme baffe et j’ai fait un tour sur moi-même. Mais j’étais accompagnée d’une sorte de Bacchus [dans Notre dame, c’est le prénom de l’amour de jeunesse de Maud Crayon, qui ressurgit dans sa vie, ndlr] qui est allé les sermonner, et ils se sont excusés ! J’étais bluffée. Après j’ai fait un enfant avec cet homme. J’avais besoin, je pense, de réutiliser ça. Quand on fait des films, c’est un mélange de choses qu’on invente, de choses qui nous sont arrivées et puis de choses inconscientes qui resurgissent. La claque, c’est de la comédie en soi. Dans mon film, ça arrive de nulle part, c’est vraiment pour symboliser la tension qui règne. D’un coup, n’importe qui peut s’en prendre une.

J’ai l’impression que, parmi tous vos films, c’est celui qui est le plus tourné vers son époque, les crises qu’elle traverse. Vous aviez envie d’adresser cela plus directement?

Je crois que tous mes films soulèvent des questions politiques ; en tout cas, on situe socialement les personnages. Là, j’avais envie de me réconcilier moi-même avec ma ville, qui a été très malmenée depuis 2015 avec les attentats. J’avais besoin de redonner à Paris sa noblesse en montrant ses plus beaux quartiers, les plus touristiques. Et en même temps, je voulais montrer sa violence. Je trouve que, depuis 2015, le climat a changé. Il y a aussi les problèmes de logement… La ville devient inaccessible pour la classe moyenne ; il ne reste plus que les gens très riches ou très pauvres. Maud, c’est la classe moyenne. Elle est architecte, mais elle n’a pas les moyens de prendre une nounou, donc elle mène tout de front. Si son ex est tout le temps chez elle, c’est aussi parce qu’il n’a pas les moyens d’avoir un appart pour accueillir leurs enfants. C’est tout ça qui est raconté dans le film, toute la complexité de vivre à Paris aujourd’hui.

Dès l’ouverture, le film est ponctué d’extraits radiophoniques qui, si on y prête attention, sont souvent savoureux.

On a beaucoup ri à les écrire. Il y a un truc dont je suis très fière. Quand on a rencontré Anne Hidalgo pour lui parler du projet – on voulait tourner à l’intérieur de l’Hôtel de Ville, il fallait donc son accord –, elle m’a notamment parlé des appartements de fonction du maire de Paris. Je lui ai demandé ce qu’il y avait dedans, elle m’a répondu «rien», que c’est là où habitait Jacques Chirac à l’époque. 1500 m² en tout! Je suis rentrée chez moi et j’ai ajouté dans le scénario une brève radio dans laquelle il est dit que la maire de Paris décide d’accueillir les femmes et enfants de réfugiés dans les appartements de fonction. Après avoir lu le scénario, elle m’a dit: «Je vous ai piqué une idée : je vais ouvrir les appartements de fonction pour accueillir des migrants !» Et elle l’a fait!

Elle était consciente qu’elle servirait de modèle à votre personnage de maire (jouée par Isabelle Candelier)?

Oui. Surtout, elle nous a donné les clefs de l’Hôtel de Ville; dans le film, le bureau de la maire est vraiment celui d’Anne Hidalgo! J’ai juste ajouté le portrait d’elle fait par un peintre que j’adore qui s’appelle Arthur Aillaud. Mais sinon, c’est sa déco.

Pourquoi la question de l’art dans la ville – la pyramide du Louvre, les colonnes de Buren – vous intéresse-t-elle?

Avant le cinéma, j’ai fait des études d’architecture. Je trouve ça passionnant, le mélange entre le passé et le présent, qui de toute façon sera vite du passé… Ce qui m’intéressait, c’était aussi de dire qu’un échec ce n’est pas une vérité en soi. Avec le temps, on accepte des choses qu’on n’accepte pas au moment présent. Quand le chantier des colonnes de Buren a été arrêté, les gens venaient et donnaient leur avis, trouvaient ça immonde – je me souviens de mon père qui disait: «Mais qu’est-ce que c’est moche, ces trucs ! » Moi, je trouvais ça hyper beau, je ne comprenais pas. Mon premier court métrage, Il fait beau dans la plus belle ville du monde, je l’ai situé dans la cour d’honneur du Palais-Royal, là où sont installées les colonnes de Buren. Je me suis inspirée aussi du concours de l’Opéra Bastille qu’avait fait Mitterrand. Il voulait démocratiser l’architecture et il avait donc lancé ce concours universel pour n’importe quel diplômé d’architecture. Il était persuadé d’avoir choisi le projet d’un grand nom, et en fait c’était un Urugayen pas du tout connu [Carlos Ott, ndlr]. Donc tout le monde a flippé, on lui a mis toute une équipe sur le dos, des ingénieurs structure, des architectes plus expérimentés, il n’a pas su maintenir son cap, le projet a été complètement déformé et il a fait un objet raté qui ne restera jamais dans l’histoire de l’architecture. Ensuite je trouvais que Notre-Dame de Paris était vraiment le meilleur endroit où imaginer greffer de la modernité et que ça fasse polémique. Bien sûr, au moment où on écrivait le film, on ne savait pas ce qui allait se passer.

Comment avez-vous vécu l’incendie?

J’étais effondrée, d’abord parce que, quand on tourne dans un monument, on crée un lien privilégié avec, on a un peu l’impression qu’il nous appartient. Je suis allée voir tout de suite à vélo, j’ai eu peur qu’on ne puisse pas éteindre le feu, les flammes étaient impressionnantes. J’ai pensé que Notre-Dame allait disparaître, je ne me suis couchée que quand on a su que les flammes étaient maîtrisées. Mais j’étais aussi très embêtée pour mon film!

Vous en étiez où du film? Vous avez modifié des choses suite à l’incendie?

J’avais fini le montage image. Ensuite, rapidement, on a appris qu’il y avait un appel d’offres lancé pour reconstruire la flèche, avec des premières polémiques sur est-ce qu’il faut faire de l’ancien ou du moderne… C’était l’horreur, j’ai fini par ne plus rien vouloir savoir sur cette histoire, ça m’angoissait trop. Je n’ai rien changé au film. J’ai hésité sur le titre, j’avais très peur qu’on puisse penser que je suis opportuniste. Mais changer le titre, ça aurait été comme changer le prénom de mes enfants ; impossible. Le projet s’est toujours appelé Notre dame, avec un d minuscule, parce que Maud Crayon, c’est la dame de tout le monde.

Votre cinéphilie s’est construite comment? Petite, le cinéma était présent chez vous?

Non, pas du tout. Moi, j’habitais en grande banlieue, donc le cinéma c’était pas évident. Le premier film que j’ai vu au cinéma, c’était E.T., au centre commercial Belle Épine [dans le Val-de-Marne, ndlr]. J’avais 7 ans et je m’en rappellerai toute ma vie. Je me souviens de la couleur des fauteuils, de tout. C’était ma première émotion, la première fois que je pleurais au cinéma. C’est un chef-d’œuvre absolu, je pense que c’est le film que j’ai le plus vu. C’est vraiment mon film préféré.

Pourquoi?

Parce que c’est un film qui connecte directement avec l’enfance. D’ailleurs, j’ai réalisé il n’y a pas longtemps que E.T. est un enfant. Je ne l’avais pas compris quand j’étais petite, parce qu’il a une tête de vieux. Mais en fait, c’est un enfant qui a fait une connerie, qui s’est perdu, c’est pour ça qu’ils se comprennent avec Elliott. C’est magnifique.

C’est parce que vous n’êtes pas une «vraie» Parisienne que vous filmez Paris comme une ville rêvée?

Oui, c’était mon rêve d’habiter à Paris. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai choisi des études d’architecture, parce que je ne pouvais les faire qu’à Paris. Je suis venue à Paris pour ça, et aussi parce que j’étais amoureuse d’un Parisien. Je suis arrivée à 19 ans, j’habitais rue de la Tour dans une chambre de bonne au 7e  étage, et j’étais la plus heureuse du monde.

Dans une scène, Maud Crayon, effondrée par l’échec de son projet architectural, entend à la radio une féministe évoquer son cas; excédée, elle coupe le son. Pourquoi cette réaction?

Ce que dit exactement la personne à la radio, c’est: «Le problème qui concerne Maud Crayon concerne toutes les femmes. Nous sommes dirigés par des petits bureaucrates en cravate qui, quand ils ne sont pas condamnés pour abus sexuels, se vengent en écrasant les femmes qui réussissent.» Il faut savoir que le film, je l’ai écrit en 2016 et 2017, avant #MeToo, avant Adèle Haenel. C’est vrai qu’aujourd’hui on m’en parle beaucoup de cette phrase, on me demande où je me situe dans le féminisme, et je comprends qu’on peut ne pas très bien l’interpréter, ce qui m’embarrasse un peu. En gros, Maud Crayon ne veut pas qu’on réduise son échec au fait qu’elle est une femme. Pour moi, le film était justement tellement féministe que je pouvais me permettre de nuancer. Par exemple, à un moment, la fille de Maud Crayon lui demande: «Pourquoi c’est les femmes qui font tout?» Cette question, ma fille me l’a posée, et je n’ai pas su quoi lui répondre! Je pense qu’il faut à la fois éduquer les hommes à remettre en question les clichés sur la virilité, mais aussi changer les modèles qu’on propose aux petites filles. Parfois, je me rends compte que je dis à ma fille [elle a une fille et deux garçons, ndlr]«Rebecca, viens m’aider !» C’est complètement absurde. Et elle me voit faire – je suis une femme, et le fait est que je fais tout chez moi. Mon petit garçon, le dernier, met la table, débarrasse, fait le ménage, et il a autant de poupées que de voitures. Mais c’est tout un système qu’il faut réussir à bousculer.

PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD
Images: Copyright Scope Pictures – Les Films de Françoise

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