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IA QUOI · Une nourriture noble

  • Julien Dupuy
  • 2023-11-17

L’édito de Julien Dupuy. En France, plusieurs tribunes d'artistes dénoncent les menaces, indéniables, que l’I.A. fait peser sur les conditions de travail et l’emploi en général. Il faut, bien entendu, entendre ce cri d’alerte. Mais aussi se demander s’il n’est pas temps d’embrasser pleinement l’émergence des I.A., pour en tirer le meilleur tout en évitant le pire.

L’actualité de l’I.A. a été marquée ces dernières semaines par deux évènements qu’il est intéressant de mettre en regard. En premier lieu, une tribune fut publiée début octobre dans le quotidien Libération à l’initiative d’un collectif de traducteurs. Soutenue par des artistes, parmi lesquels l’auteur de bande dessinée Enki Bilal, le réalisateur Luc Dardenne ou la romancière Leïla Slimani, elle appelle à la plus grande méfiance face à l’utilisation de l’I.A. générative dans l’art. Manifestant l’inquiétude grandissante vis-à-vis de ces outils numériques, le texte dénonce notamment les menaces, indéniables, que l’I.A. fait peser sur les conditions de travail et l’emploi en général. Il faut, bien entendu, entendre ce cri d’alerte. On est également en droit de le questionner sur certains points et notamment sur ce passage : « L’usage de ces programmes nuit à la culture dans son ensemble, en l’uniformisant, en y propageant de nombreux biais, notamment racistes et sexistes, introduits par les contenus d’entraînement des I.A., en amplifiant les voix et les langues déjà majoritaires en ligne, aux dépens de celles moins bien servies par l’informatique. »

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Si ce grief est difficilement contestable, il questionne une autre mesure qui a vu le jour ces derniers temps. Depuis l’été dernier, plusieurs organes de presse anglais (la BBC), américains (le New York Times) et français (le groupe Le Monde) ont pris les mesures nécessaires pour empêcher les I.A. génératives de se nourrir de leur contenu. À la mi octobre, la SACEM a à son tour bloqué les robots qui, pour nourrir les I.A., piochent sans vergogne dans l’immense catalogue de cette société de gestion des droits d’auteur. Toutes ces mesures ne sont pas seulement logiques, elles sont aussi indispensables : une société comme OpenAI, par exemple, tire des bénéfices records en enrichissant ses I.A. du travail d’artistes qui n’obtiennent aucune rémunération.

Cependant, ces deux évènements mis en regard posent question. En particulier si l’on reconnaît que la présence des I.A. est d’ores et déjà monumentale et que son essor semble difficile, si ce n’est impossible, à freiner. Car pour éviter l’uniformisation que dénonce la tribune publiée dans Libération, il faut aussi varier sa nourriture, voire même gaver les I.A. des aliments les plus nobles possibles, qu’il s’agisse de la connaissance, de l’information ou de l’art. On peut évidemment espérer que la coercition de ces mesures et de ces prises de position limite les I.A. génératives à des créations médiocres, dont le public se détournerait rapidement. On peut aussi se demander s’il n’est pas temps d’embrasser pleinement l’émergence des I.A., pour en tirer le meilleur tout en évitant le pire.

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I.ARTISTE

L’excellent documentaire de Thibaut Sève, diffusé à partir du 22 novembre à 21hOO sur Canal+ Docs, retrace le parcours improbable et, par bien des aspects, édifiant des Obvious. Ce trio d’artistes français fut pionnier sur le marché de l’art numérique en vendant à prix record un portrait généré par une I.A. en 2018, puis en s’imposant sur le marché des NFT. Thibaut Sève nous raconte son expérience et son rapport avec les Obvious et ce qu’il a découvert en suivant leurs exploits et combats.

« J’avais entendu parlé, dès 2018, des exploits de Gauthier Vernier, Pierre Fautrel et Hugo Caselles-Duprè, les trois personnes derrière le groupe des Obvious. Et j’avais pris leur travail un peu de haut : après tout, deux des trois membres de ce collectif, Gauthier et Pierre, viennent d’une école de commerce et Hugo est ingénieur. On est très loin de l’image d’Épinal de l’artiste isolé, avec des taches de peintures plein le pantalon.

Sur l’impulsion d’une de mes productrices, je suis néanmoins allé les rencontrer dans leur atelier et je me suis rendu compte que je les avais jugés trop rapidement. J’ai immédiatement apprécié leur volonté jusqu’au-boutiste de ne travailler qu’avec de l’I.A. Et j’ai adoré le fait qu’ils soient trois : leur amitié leur permet de tenir face aux résistances qu’on leur oppose. Cette force du groupe est indispensable : ils restent quand même à la marge, de la marge du monde de l’art. Bref, il fallait que je comprenne leur démarche.

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Les suivre et retracer leur parcours était l’occasion de raconter un état de l’art et un état de la technologie. Car les Obvious veulent décloisonner les choses, mêler leurs savoir-faire technologique et d’artistes. Et contrairement à d’autres, ils maitrisent leur technologie. Comme Beeple [cf. I.A. Quoi ? 14 - NDR], qui figure également dans le documentaire, ils sont des pionniers. Il faut leur rendre hommage.

J’aime aussi l’idée qu’ils cherchent à ce que leur travail rentre dans le monde physique : ils démarchent quantité d’artistes spécialisés dans divers arts, pour que leurs créations numériques se concrétisent par un objet. Et par ce biais, ils ambitionnent de devenir transgénérationnels. À ce titre, ils sont très pédagogues sans non plus se montrer, je trouve, trop partisans. Ils peuvent dénoncer les mauvais côtés des I.A., mais ils veulent surtout initier le dialogue, faire comprendre que les I.A. arrivent et qu’il faut que l’on en discute. Et depuis une grosse année et le boom des I.A. génératives, tout le monde les écoute. C’est formidable quand les technologies poussent les humains à se parler.

Je n’ai pas utilisé d’I.A. sur le documentaire, si ce n’est pour un détail. J’avais demandé à ChatGPT : "Pourquoi souvent les documentaires sont chiant ?" Et les réponses étaient très pertinentes il me semble. Je les ai donc affichées en salle de montage et, avec ma monteuse Tess Gomet, nous nous y référions régulièrement. »

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