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I.A. QUOI ? · Fontaines de jouvence

  • Julien Dupuy
  • 2023-07-06

L’édito de Julien Dupuy. La sortie du dernier opus d’ « Indiana Jones » marque une nouvelle étape dans l’un des grands projets de l’ère numérique que traverse le cinéma : le « de-aging », que l’on pourrait traduire par rajeunissement. Derrière ce terme un peu barbare se cache une myriade de techniques qui, toutes, reposent sur l’utilisation d’I.A.

Visages en 3D (Will Smith dans Gemini Man), retouche 2D (Samuel L. Jackson dans Captain Marvel) ou masques numériques (les acteurs principaux de The Irishman)… Le cas d’Indiana Jones et le Cadran de la destinée est encore différent. Le film étant produit par Lucasfilm, l’équipe des effets visuels d’Industrial Light & Magic a pu scanner tous les plans dans lesquels apparaissait Harrison Ford dans les productions maison, à savoir les premières trilogies de La Guerre des étoiles et d’Indiana Jones. Une I.A. analysait chacune des images et choisissait l’angle, la mimique et la lumière la plus adaptée aux nouveaux plans filmés avec Harrison Ford, âgé de 79 ans au moment du tournage. En s’appuyant sur cette base, les infographistes pouvaient ensuite créer le visage numérique du comédien rajeuni.

Les fontaines de Jouvence numérique permises par l’I.A. ouvrent donc de toutes nouvelles possibilités aux cinéastes : Robert Zemeckis s’apprête à s’en emparer dans Here, interprété par Tom Hanks et Robin Wright. Adapté d’un roman graphique de Richard McGuire (Ici, publié chez Gallimard BD), Here bénéficiera d’un outil développé en partenariat avec - c’est une première éloquente - l’agence artistique CAA, société chargée de faire fructifier les carrières de ses talents. Quand bien même leur utilisation et leurs performances sont amenées à se démultiplier, ces innovations très médiatisées ne sont, en réalité, que des évolutions d’outils déjà exploités depuis des années dans l’audiovisuel.

Lorsque Lola FX subjugua l’industrie en rajeunissant Brad Pitt et Cate Blanchett pour L’Étrange Histoire de Benjamin Button de David Fincher, en 2009, la société s’appuyait sur une expérience déjà vieille de dix ans, passée à retoucher une quantité folle de clips vidéos, en particulier ceux de Britney Spears et de Mariah Carey. À l’époque, Lola FX avait même fait appel à l’expertise d’un chirurgien esthétique. Contraints au secret (il est encore difficile de savoir précisément quelles stars ont fait appel à leurs services), les infographistes vantaient leurs capacités en cachette, notamment en installant leurs équipements au Château Marmont, l’hôtel des vedettes de Los Angeles.

Encore aujourd’hui, l’artiste des effets spéciaux Yoshi Vu rappelle dans un passionnant article d’Inverse qu’« il existe de nombreux cas de "deaging" dans des séries télévisées et des films, sans que personne ne le réalise. Il ne s'agit pas de flashbacks, mais simplement de rajeunir l'acteur ou de le rendre plus séduisant ».

Cette question du rajeunissement, ou de l’embellissement, n’est pas apparue avec le numérique. Bien avant l’arrivée des ordinateurs, les stars ont cherché à exploiter les effets optiques pour sublimer leur image sur grand écran.  par exemple a, très tôt dans sa carrière, imposé que tous ses gros plans soient filmés à travers un voile de tulle, que l’on perçait de deux trous au niveau des yeux pour préserver leur éclat. L’I.A. et les effets spéciaux numériques ont donc rendus médiatiques des coutumes ancrées de longue date dans l’industrie de l’image. Et après tout, il faut rappeler qu’un comédien filmé n’apparaît jamais au naturel à l’écran : que ce soit l’éclairage, son maquillage ou tout simplement la focale utilisée, il est transfiguré par la caméra, avec ou sans l’aide des I.A.

+ Jetez un œil à l’impressionnante démo des effets visuels assurés par Weta pour Gemini Man d’Ang Lee

 

I.A. PLAYLIST

-Puisque nous évoquons les prouesses du rajeunissement numérique, voici un bel exemple de « aging » cette fois, avec la proposition d’un avocat turc qui, durant son temps libre, a imaginé quel pourrait être aujourd’hui le visage de stars décédées prématurément.

-Un dénommé Philipp a posté sur Reddit une expérience faite conjointement sur ChatGPT puis Midjourney, à partir de cette consigne : « Veuillez rédiger en 10 parties l'exact contraire d'un film célèbre. Pour chaque partie, décrivez l'intrigue, ajoutez une courte description visuelle de l'affiche pour accompagner le texte et fournissez une accroche et un titre. » Le résultat a été compilé sur ce fil Twitter.

-Steven Lisberger qui, avec Tron (1982), fut l’un des premiers cinéastes à s’interroger sur l’évolution et l’impact des I.A., revient sur la naissance de ce film visionnaire et son rapport aux technologies. Petit extrait choisi de cet entretien : « Les gens ne se souviennent pas de l'ampleur du rejet des ordinateurs au début des années 80. Nous étions même en avance sur Steve Jobs à ce moment-là. » La suite (en anglais).

- En bonus, le grand Noam Chomsky parle de ses craintes concernant ChatGPT.

I.ARTISTE

DaveThePreacher, alias David Raichman, vient de réaliser, à l’aide de multiples I.A., le dernier clip en date de Mass Hysteria, Le Grand Réveil. Ce Français nous parle de son parcours, de son mode opératoire et de son rapport à ces nouveaux outils :

« Je suis directeur créatif publicitaire, mais j’ai à côté une vie artistique de photographe I.A. Dès fin décembre dernier, j’ai fait ma première exposition à Paris. J’entraine les I.A. sur la base de mes travaux photographiques, donc de mon style, ce qui me permet d’avoir quelque chose d’unique. Autrement dit, je ne suis pas là pour faire une démonstration des capacités des I.A. génératives. L’I.A. est un outil qui me sert dans mon expression artistique. Pour Le Grand Réveil, Mass Hysteria souhaitait travailler autour d’une chanson de Fréhel. Je leur ai proposé une note d’intention très précise puis j’ai conçu un story-board déjà à l’aide d’I.A. génératives.

La méthode est importante et, quand bien même elle évolue grâce à ces nouveaux outils, elle reste dans la continuité des approches traditionnelles. Toutes les images du clip ont été générées par I.A., excepté le moment où l’on voit le groupe. Par conséquent, leur présence, même furtive, ressort énormément. Sur l’impulsion de la chanson de Fréhel, je voulais évoquer le cinéma des origines, mais aussi les films de Fritz Lang et de Sergueï Eisenstein.

J’ai les mêmes sources d’inspiration pour mes photographies parce que, pour moi, nous en sommes avec ces outils au même stade que Méliès quand il a débuté sa carrière de cinématographe. Il était donc doublement logique de rendre hommage à tous ces cinéastes. L’arrivée des nouveaux générateurs d’images s’apparente aussi, selon moi, à la découverte de la photographie à la fin du XIXe siècle. On pouvait très bien se dire à cette époque : "Regardez comme le rendu de ma reproduction photographique d’un Cézanne est bluffant." Mais on pouvait aussi se dire, comme aujourd’hui avec l’I.A., qu’il faut dompter l’outil pour obtenir une œuvre qu’aucun autre médium ne permet de concevoir. J’explore donc, avec l’I.A., des domaines auxquels les autres arts ne peuvent pas me donner accès. »

I. À la semaine prochaine !

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