Les expériences des sœurs Wachowski sur la captation en 3D d’un environnement réel pour les séquences de « bullet time » des Matrix ou encore l’incursion de Robert Zemeckis et Steven Spielberg dans le Cinéma Virtuel avec La Légende de Beowulf et Les Aventures de Tintin ont déjà tenté de décolérer le regard du cinéaste de celui de la captation de sa séquence.
Pour dire les choses autrement : l’interprétation des comédiens était captée en trois dimensions (notamment avec la capture de mouvements), puis insufflée dans un univers virtuel plus ou moins réaliste. Le cinéaste pouvait dès lors y placer une caméra virtuelle où il le souhaitait, sans contrainte physique ou de temps.
Les I.A. sont en train d’accélérer grandement ce qui restait jusqu’à présent réservé à des films prototypes dispendieux. Depuis quelques mois sont arrivées les Neural Radiance Fields, ou NeRF. Par exemple l’appli Luma AI, disponible gratuitement sur smartphone, propose de reconstituer un environnement en 3D à l’aide de quelques clichés. L’usage est extrêmement simple : si vous désirez capter en 3D un arbre dans un parc, il vous suffit de tourner une fois autour du végétal en le photographiant via cet outil. L’I.A. exploitera ensuite ces données pour vous fournir un modèle 3D de cet arbre et de tout son environnement, dans lequel vous pourrez vous déplacer virtuellement.
Si l’outil de Luma AI reste encore réservé aux images fixes, des outils commencent à apparaître pour adapter le NeRF à la vidéo en mouvement. À plus ou moins long terme, les cinéastes du futur pourraient alors se contenter, sur un tournage, de saisir un décor et le jeu des comédiens pour, en postproduction, définir leurs plans ou leurs mouvements de caméra. On vous laisse imaginer l’impact qu’une telle technologie risque d’avoir, à court terme, sur le monde de l’audiovisuel.
Bonus :
Justin Hackney, que nous avions déjà interviewé dans I.A. QUOI ? (lire l’article ici), teste Luma AI sur Instagram (à voir ici et là).
L’équipe de Corridor Crew démontre la puissance des technologies basées sur les NeRF.
I.A. PLAYLIST
L’autrice Lisa Mandel teste ChatGPT pour sa chronique publiée dans L’Obs. Voir sur Instagram.
Gollum alléché par les devantures de bijoutiers dans ces images générées par Midjourney et le fan turc du Seigneur des Anneaux, Mordor TR. Voir sur Instagram.
L’équipe de Curious Refuge, déjà autrice de la bande-annonce de La Guerre des Étoiles façon Wes Anderson, s’essaie au documentaire par générateurs d’image avec cette bande-annonce d’un portrait du chanteur Milli Vanilli.
I.ARTISTE
Julie Wieland est une des artistes les plus singulières œuvrant avec les I.A. Avec ses courts-métrages Ready or Not et surtout The Honeymoon Phase, elle parvient à insuffler un caractère quasi charnel et certainement intimiste à ces créations numériques. Outre ses courts-métrages, on vous invite d’ailleurs à regarder ses tutos expliquant comment obtenir des interprétations crédibles de personnages virtuels.
« Je suis une designeuse graphique et une artiste visuelle. J’ai fait mes études au Luxembourg puis à Berlin. Après avoir travaillé dans plusieurs sociétés, je suis devenue freelance en 2021. J’adore créer des récits visuels en utilisant à la fois l’I.A. et des outils traditionnels.
Ready Or Not est né par accident : en expérimentant avec Midjourney, j’ai obtenu l’image de gens portant des masques d’animaux. Ce visuel m’a frappé : il était à la fois esthétiquement beau et étrange. J’ai continué à creuser dans cette direction jusqu’à obtenir cette bande-annonce. Ready or Not s’est nourri en grande partie de notre anxiété à l’égard des I.A. Et puis j’aimais l’idée d’utiliser des masques non pas pour cacher des choses mais pour en révéler.
Quand bien même je travaille avec les I.A., j’adore les méthodes traditionnelles et notamment la photographie analogue. J’ai essayé de conserver les artefacts de ces méthodes dans mes images générées par I.A. Et ça n’est pas qu’un choix esthétique, c’est aussi une question de principe : ma créativité ne doit pas être submergée par la technologie, elle doit rester la force motrice de mes travaux. C’est le cas de mon court-métrage The Honeymoon Phase : cela fait plus d’un an que je travaille avec les générateurs et j’ai appris à en tirer des images réalistes, crédibles, proches de la photographie traditionnelle. Ça n’est pas pour rien que l’on qualifie parfois les générateurs d’image de « post-photographie ».
L’I.A. a, pour moi, de multiples avantages. Elle est déjà un formidable partenaire d’entraînement : j’ai l’impression d’avoir un dialogue permanent avec un collaborateur qui peut m’aider à épanouir mes idées. Cette relation a considérablement modifié ma façon d’aborder mes projets et d’exprimer ma créativité. Ensuite, me plonger dans les outils I.A. est une petite échappatoire, un moment où je peux laisser mon esprit vagabonder en toute liberté. À plus ou moins court terme, l’I.A. va aussi me permettre d’éliminer certains des aspects les plus fastidieux de mon travail. Mon objectif n’est pas seulement de faire plus de travail, mais de travailler plus intelligemment, de me concentrer sur les aspects les plus nobles de la création. Et puis, enfin, j’ai hâte de voir comment les I.A. vont rendre la création accessible à tous. Avec l’I.A., nous pourrions inaugurer une nouvelle porte d’entrée vers les arts, accessible au plus grand nombre. Et je trouve ça enthousiasmant ! »
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Image : The Honeymoon Phase de Julie Wieland