Sur plusieurs photos mises en mouvement et diffusées par vidéoprojecteurs, un homme pose, se déshabille, enfile son uniforme de la Police, puis le retire. Derrière cette mécanique volontairement minimaliste et répétitive, l’artiste Frédéric Olidez, qui se met lui-même en scène, révèle le changement de regard qui s’opère automatiquement dès lors que le modèle sort de l’anonymat pour afficher sa corporation. Intitulée « À mon corps défendant », c’est l’une des œuvres les plus percutantes de l’expo « Hard-corps », présentée jusqu’au 6 juin dans les écuries du CENT-QUATRE-Paris.
Elle réunit les travaux protéiformes (vidéo, photo, peinture, sculpture, installation immersive…) d’une vingtaines d’élèves de l’école de cinéma et arts visuels Kourtrajmé, fondée en 2018 par le cinéaste Ladj Ly (Les Misérables) dans son fief de Montfermeil.
Toutes ont été conçues pendant la pandémie, avec cette idée en tête : penser le corps dans toutes ses dimensions (sociale, politique, symbolique ou esthétique), réfléchir au rôle qu’il joue dans la société contemporaine, entre marchandisation de la beauté sur les réseaux sociaux, transmission politique ou peur viscérale de la maladie ou de la mort.
L’idée de décomposition est d’ailleurs au cœur de « Conscious 23 » de Fodil Drici (compte Insta : @FodilDrici), une installation macabre mais captivante, dans laquelle se superposent deux vidéos. Sur la première, une pile de vêtements volants est projetée sur un tissu transparent.
Au travers de celui-ci apparaît la seconde vidéo, qui montre des images de catastrophes environnementales et met en scène des personnages animés, dont les corps, dépouillés, se désarticulent et valsent. « Nous voulons que nos clients puissent être sûrs que tout ce qu’ils achètent chez nous est fabriqué dans le respect des êtres humains et de l’environnement. » Cette phrase prononcée en 2013 par Karl-Johan Persson, patron de H&M, trône en présentation de l’œuvre comme pour souligner l’hypocrisie et le cynisme des grands dirigeants du prêt-à-porter.
Moins branchée apocalypse, la photographe Nine David (compte Insta : @ninedavid) se rend dans sa série Teen Lovers dans des chambres d’adolescentes. Comment, à l’âge où l’on commence à explorer son corps et ses sentiments, ont-elles vécu cette période de limitation sociale ? Nine David éclaire avec la même douceur que le documentariste Sébastien Lifshitz, qui a récemment chroniqué la vie de deux copines entre le collège et la fac dans Adolescentes, des instants de solitude et d’exaltation négative redoublés d’intensité et nimbés de nostalgie.
Quid du corps comme instrument politique ? Dans « FRIC SHOW », sa fascinante installation visuelle et sonore, la vidéaste Paloma Vauthier (compte Insta : @palomavauthier) interroge des danseuses de pole dance, que l’on voit danser sensuellement à travers plusieurs écrans. Tout en créant des mouvements fluides autour de leurs barres, elles se retrouvent incrustées dans des univers oniriques conçus en 3D. En fond sonore, on les entend évoquer de manière décomplexée leur métier – et dézinguer au passage plusieurs clichés tenaces. On n’avait pas encore imaginé que la barre de pole dance puisse être une arme aussi puissante.
Image de couverture : ©Quentin Chevrier / 104
: Exposition « Hard-corps »
Jusqu’au 6 juin au CENT-QUATRE-Paris