Peut-on rire de tout ?

[LE BILLET D’HUMOUR DE RENAN CROS] En lisant ce titre, vous avez levé les yeux au ciel, moi aussi. Élue pire question de journaliste fatigué : peut-on vraiment rire de ce qui nous fait du mal ? Ce mois-ci, un livre et un spectacle tentent avec grâce et mordant de nous faire marrer avec le pire.


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Cet article fait partie de notre nouvelle rubrique, HA HA HA !, tenue par notre journaliste Renan Cros, qui chronique d’un point de vue personnel une tendance dans le monde de l’humour.

« L’humour est la politesse du désespoir. » J’ai longtemps cru que cette phrase était de ma mère. Il paraît que non. Certains l’attribuent à Boris Vian, d’autres à Chris Marker ou même à Victor Hugo. Laissez-moi vivre dans le déni. Ma mère vaut bien tous ces noms-là.

Elle a toujours une citation pour tout, et elle fait très bien les discours d’enterrement. C’est un don. La bonne phrase, la bonne musique. Tout le monde pleure, tout le monde sourit. Efficace, élégant. Un don, je vous dis. Ça m’a toujours énervé, mais en vieillissant je me rends compte que j’ai tort.

En lisant le nouveau livre de Clémentine Mélois, je pensais à ça. C’est quand même classe de savoir sourire alors qu’on a envie de se rouler en boule sous sa couette. Rien que le titre, Alors c’est bien, est bien. Surtout pour raconter la mort de son père. Clémentine Mélois a l’humour pudique. Un titre comme une pirouette qui donne le ton. Une roulade, et hop !, ça va mieux. Moi qui n’ai jamais été très souple, ça m’impressionne. C’est un livre hommage autant qu’un manuel de combat. L’histoire d’une fille qui organise à son père, artiste, des funérailles de pharaon.

Tout dans ce livre est doux et drôle. Légèrement fou, comme ce cercueil peint en bleu ou cette veillée transformée en vernissage. « L’humour est comme une torche enflammée qui tient à distance les bêtes sauvages autour des feux de camp », écrit-elle. Je l’ai notée pour ma mère. Elle va adorer. Celle-là aussi : « C’est pas facile d’être heureux quand on va mal. » On est d’accord, Rudy Milstein. Est-ce parce qu’il a réalisé un excellent premier film (Je ne suis pas un héros, 2023) sur la malédiction d’être un gentil qu’il sort aujourd’hui une pièce aussi méchante ?

Sur le papier, c’est une gigantesque crise d’angoisse : la maladie, la solitude urbaine, les couples toxiques, les amis relous, la drague pathétique… La joyeuse pochette-surprise des trentenaires d’aujourd’hui. Une sorte de Friends post-Covid sur des gens déprimés et narcissiques (dixit l’auteur), où tout le monde est persuadé d’être le plus malheureux. C’est rare d’entendre une salle rire aussi fort. C’est très drôle, oui. Bien joué aussi. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on rit tout autant par instinct de survie. Tout le monde se reconnaît dans ces tyrans du quotidien, mais comme personne n’ose le dire, mieux vaut en rire. Ça doit être ça aussi, la politesse.

Alors c’est bien de Clémentine Mélois (Gallimard, 2024)

C’est pas facile d’être heureux quand on va mal de Rudy Milstein, au théâtre Lepic

Images : Alejandro Guerrero