Cycle « Gay Rom Com » : 3 questions à Joffrey Speno, programmateur, et Marie-France Aubert, directrice artistique du FIFAM

En novembre dernier, le Festival International du Film d’Amiens consacrait un cycle à la « Gay Rom Com ». Joffrey Speno, qui a pensé cette programmation, et Marie-France Aubert, la directrice artistique du festival, nous parlent de ces films méconnus, qui osent affirmer les sentiments tout en étant très politiques.


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Comment est venue cette idée de consacrer un cycle à la « Gay Rom Com » ? Quelles affinités entreteniez-vous avec la déclinaison gay du genre ?

Joffrey Speno : On sortait d’un moment un peu difficile : il nous a été impossible de faire la rétrospective intégrale Marlon Riggs [l’auteur de Tongues Untied ou Black Is…Black Ain’t, ndlr], sur laquelle on travaillait depuis un an et qui aurait été une première en France. À la fin de l’été dernier, Marie-France m’a dit « bon, il faut trouver autre chose pour novembre. » Elle sait que je visionne beaucoup de films LGBTQIA+, particulièrement gays. On voulait se faire plaisir, s’émanciper des programmations de films pointus et rares, que valide la cinéphilie – des films que j’adore par ailleurs, ceux de Pedro Almodóvar, de Gregg Araki, de James Ivory. Les gay romcoms de cette programmation, je les ai vues entre mes 17 et 20 ans, et j’ai été assez effaré parce que mes amis pédés ne les avaient jamais vues.

Marie-France Aubert : Le FIFAM a une histoire très militante. Étant directrice artistique depuis l’année dernière, c’était important pour moi de garder cet engagement-là. C’est un festival qui cherche à mettre en lumière des invisibilisations, des invisibilisé.e.s. On avait envie de montrer des films politiques, brillants dans leur manière de jouer avec les codes, qui proposent une singularité cinématographique. On voulait aussi un peu de légèreté, c’est bien d’apporter un peu d’air frais, de papillons, de larmes. Dans certains milieux cinéphiles, la comédie romantique est un genre assez méprisé, alors qu’on est beaucoup à l’aimer en secret. Je suis lesbienne aussi, donc j’ai aussi une affinité avec les luttes portées par ces films, à la confrontation avec leur invisibilisation au cinéma.

À quel point le politique se fond ici dans les codes de la comédie romantique, la romance, le happy end, parfois même le cheesy totalement revendiqué ?

J.S. : Pour le titre du cycle, j’aurais bien utilisé « pédé » pour des raisons politiques. Mais on a choisi le terme « gay » parce que ça sonnait bien, ça donne presque un rythme ternaire, gay-rom-com. C’est aussi lié à l’ancrage très années 1990 de ces films. De façon très générale, la romcom, ce sont deux personnages que tout oppose qui vont tomber amoureux. On part d’un un carcan de normes affectives, amoureuses, sexuelles hétéro. Mais ces films, qu’en font-ils ? Soit ils s’en émancipent, soit ils proposent d’autres modèles. C’est quelque chose dont sont dépourvues les productions actuelles, dont le seul objectif consiste en la représentation un peu comptable des LGBTQIA+, évidée de la charge culturelle et politique de nos vécus. Et quand c’est revendiqué comme politique, ça l’est seulement comme sujet, sans que la mise en scène puisse le faire ressentir.

Les quatre films du cycle questionnent le mariage, la famille, les amis, le couple, la fidélité, la drague, et évidemment la sexualité. I Think I Do (Brian Sloan, 1997), c’est une pure comédie romantique, avec un mariage hétéro, mais dont le centre de l’histoire porte sur des personnages gays. Jeffrey (Christopher Ashley, 1995) permet d’aborder l’amour et le sexe au temps de la crise du VIH/sida, une question importante dans nos vécus, avec l’idée d’en interroger l’héritage. C’est aussi une réussite d’en faire une comédie. Quant à Un soupçon de rose (Ian Iqbal Rashid, 2004), il parle d’un pédé et racisé et musulman en couple avec un homme blanc britannique. Il a un propos intersectionnel sur l’idée être blanchi par l’imaginaire, par le cinéma. Enfin, le film B Boy Blues (Jussie Smollett, 2021) est un drame romantique que j’ai tout de même intégré pour son casting composé à 100% d’acteurs noirs et sa façon d’interroger les rapports de classe.

M-F A. : Ces films ont un côté très méta, ils jouent avec ce que proposent les comédies romantiques hétéro – par exemple avec des adresses aux spectateurs et spectatrices, avec des blagues sur ce que sont censés faire les personnages dans le film. Je pense surtout à Jeffrey et à Un soupçon de rose, où il y a ce rapport ludique à la fiction.

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Un soupçon de rose de Ian Rashid

Comment s’est passé votre travail de recherche, de découverte des films ?

J.S. : Déjà, il me semble important de dire qu’on ne manque pas de représentation gay. Il y a des milliers de films, de séries, qui existent. C’est leur accès qui est compliqué. Entre 2003 et 2007, ce qui m’a sauvé étant campagnard, c’est le téléchargement. Dans ces années-là, c’est ce qui m’a permis de trouver des représentations que je ne trouvais pas à la télé ou dans mon cinéma qui était un multiplexe. Ça a été une aubaine de pouvoir télécharger ces films, de les regarder, de les revoir. Je suis parti de cette base de films.

Dans le contexte d’un festival de cinéma qui s’adresse à tout le monde, il ne s’agit pas d’édulcorer mais d’être exigeant sur qu’on peut proposer comme diversité à travers une programmation limitée de quatre films. Mes recherches m’ont mené à organiser cette cinéphilie foutraque dans un tableau Excel de 135 entrées, qui ne sont pas que des comédies romantiques, mais aussi des films sur le VIH/sida, des pornos, des coming of age, des films portant sur des questions intersectionnelles…

M-F A. : C’est vraiment par le travail de Joffrey que j’ai découvert ces films. J’avais confiance en lui, donc on a décidé de programmer ces films sans que j’aie pu les voir auparavant. C’était une sorte de carte blanche qu’on lui confiait. Notre travail à nous a consisté à permettre de montrer les films en salle, par exemple en créant des sous-titres, des DCP… Humblement, on était passeuses et passeurs des recherches de Joffrey, dans lesquelles on trouve nos propres échos cinéphiles et politiques.

« Gay Rom Com » : une programmation du FIFAM reprise aux cinémas Le Grand Action et L’Archipel ce samedi 13 et mardi 16 janvier

Image de couverture : B Boy Blues