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Les variations féminines de l'expo « The infinite woman »
- Chloé Blanckaert
- 2024-07-16
Cet été, cap sur la Fondation Carmignac, au cœur de l’île de Porquerolles ! Regroupant sculptures, peintures, dessins ou encore vidéos de plus d’une soixantaine d’artistes du xvie siècle à aujourd’hui, l’édifiante exposition « The infinite woman » questionne les différentes représentations des femmes dans l’art, tout en déconstruisant les mythes attachés au genre et à la féminité dans une société patriarcale. Depuis son bureau londonien, la commissaire Alona Pardo a commenté pour nous quatre œuvres emblématiques. De quoi donner envie de se jeter la tête la première dans cette collection réjouissante.
Sandro Botticelli, La Vierge à la grenade, 1445-1510 © Collection Carmignac
« Cette œuvre fait partie de l’exposition permanente de la Fondation Carmignac. C’était un point de départ évident, car c’est une représentation historique de la figure de la mère et de l’enfant. La culture eurocentrique chrétienne a été modelée par cette figure très spécifique de la Vierge Marie. Mais c'est le plus grand paradoxe de l’humanité, car une femme vierge qui donne naissance, nous savons que ça n’existe pas ! Pourtant, elle est au cœur de la façon dont les femmes ont été exclues de l’histoire. Nous avons été considérées comme étrangères au monde, asexuées, inoffensives… Tous ces qualificatifs, projetés sur le corps des femmes par des peintres masculins, ont imprégné notre culture. À l’inverse, les hommes sont souvent peints dans des poses puissantes et complexes. »
France-Lise McGurn, œuvre pour l’exposition « The infinite woman », 2024 © Fondation Carmignac – Photo : JUDDartINDEX
« France-Lise McGurn est une artiste écossaise connue pour ses fresques qu’elle peint en s’inspirant de l’espace mis à sa disposition. Pour cette commande, je voulais qu’elle crée un espace immersif autour de la sculpture Spider de Louise Bourgeois, et d’une manière très intuitive elle a fait naître ces figures calligraphiques, multicolores, qui donnent l’impression de danser sur la surface des murs de la Villa. Ces silhouettes enchevêtrées explorent la sexualité, l’extase, le désir, la nostalgie. Elles sont sexy, coquettes, amusantes, puissantes. Elle y dépeint une communauté de femmes qui rentrent d’une soirée en boîte, qui viennent de faire l’amour, qui fument une cigarette… Il y a un frisson d’érotisme, mais qui reste très féminin. »
Billie Zangewa, The Rebirth of the Black Venus, 2010 © Courtesy de l’artiste – Collection Gervanne and Matthias Leridon – photo : John Hodgkiss
« Traditionnellement, l’image de Vénus est représentée par une femme blanche, asexuée et soumise. Ici, l’artiste malawienne Billie Zangewa transpose l’image des femmes noires – une figure qui a souvent été effacée – dans un canon de l’histoire occidentale. Politiquement, c’est un geste très important. De plus, sa Vénus émerge non pas d’une coquille comme dans le tableau La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli, mais de Johannesburg, ville emblématique dans l’histoire de l’apartheid [plus grande ville d’Afrique du Sud, Johannesburg a été au cœur de nombreuses ségrégations et révoltes à la fin du xxe siècle, ndlr]. Elle porte une écharpe autour de son corps pour couvrir ses parties intimes, évoquant une pudeur propre à la figure de la déesse, mais sur cette écharpe se trouve un slogan puissant : “Abandonnez-vous de tout cœur à votre complexité.” Le corps devient alors un lieu de résistance. »
Kiki Smith, Dark Water, 2023 © Courtesy de l’artiste et Pace Gallery – Photo : Peter Clough et Robyn Lehr Caspare
« Les femmes ont souvent été associées à l’eau et à la marée lunaire – la Vénus de Sandro Botticelli sort d’ailleurs de la mer. Or, l’eau est toujours en mouvement. Cette sculpture en bronze rend hommage à l’idée que le genre est une construction toujours en devenir, mais aussi à la connexion presque mystique des femmes à l’eau, un élément essentiel dans la préservation de la vie. L’œuvre de Kiki Smith fait partie de la dernière partie de l’exposition et est particulièrement appropriée pour la Villa Carmignac, car la plupart des visiteurs repartiront de l’île par la mer. Elle permet un lien direct entre l’exposition, la Villa et la mer. Il était aussi important pour moi d’inviter à réfléchir à une intimité plus sensorielle avec la nature. »
Image : © Collection Carmignac