Palme d’or au Festival de Cannes 2003, Elephant sort à l’automne suivant, couronné d’un beau succès. Racontant sous forme de boucles temporelles une journée en apparence ordinaire dans un lycée américain, le film de Gus Van Sant se termine par un massacre dans les couloirs de l’établissement. Un écho à la terrible tuerie de Columbine, commise en 1999 par deux lycéens, qui fit quinze morts. « Le film a la même pertinence politique et sociale qu’il y a vingt ans, car le contexte n’a pas du tout évolué. Rien dans l’encadrement des armes à feu n’a été fait aux États-Unis », note Jean-Marc Lalanne, illustre critique aux Inrocks, qui s’apprête à publier une série d’articles sur le site du magazine à propos d’Elephant.
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Le constat s’applique aussi à l’aspect stylistique. « En 2003, le look des personnages était très ancré dans la mode vestimentaire de l’époque. Et vingt ans c’est précisément le cycle de reformulation de la mode. Quelque chose de l’esthétique pop des années 2000 est donc au cœur des années 2020, et Elephant est en cela plus contemporain aujourd’hui qu’il y a dix ans. » La force émotionnelle du film, qui montre des adolescents innocents être victimes d’une barbarie injuste, agit ainsi encore. « En 2003, Van Sant disait que Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman avait déterminé la pensée de son propre film. Jeanne Dielman… n’a cessé de gagner en notoriété. »
De quoi parler directement aux ados de 2023 ? « Depuis cinq ans, il y a dans l’esthétique teen une dimension héritée de la culture emo, qui résonne avec le film. Britney Spears était la plus grande star teen quand Elephant est sorti, mais le film est finalement plus proche de Billie Eilish, la plus grande star pour ados du début des années 2020. » La boucle est donc bouclée pour cette grande œuvre plastique et sensorielle, amenée à traverser longtemps les époques.
Illustration : Sun Bai pour TROISCOULEURS