FIFIB 2024 : 5 courts métrages découverts et aimés 

Le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux nous a encore gâtés cette année, avec une sélection de courts frais et audacieux, qui mettent en avant de nouveaux cinéastes à suivre. On a choisi cinq films qui nous ont particulièrement marqué.


Chère Louise de Rémi Brachet(Compétition)

 Dans ce court vertigineux, Rémi Brachet (La Fin des rois, sélectionné aux César 2022) se remémore le féminicide sordide de son arrière-grand-mère, commis par son arrière-grand-père en 1959. Tout en menant un travail de recherche qui lui fait découvrir l’anticonformisme de son ancêtre, il libère celle-ci (jouée par Ariane Ascaride) de sa tragédie en lui créant une vie alternative – une uchronie idyllique dans laquelle elle aurait réussi à quitter son mari. On est en 1969. Son aïeule a 70 ans et part pour la première fois en vacances avec son fils, sa belle-fille et leur enfant. Le décor pompéien est somptueux ; les plans panoramiques et solaires donnent comme un sentiment d’air frais dans les poumons. Mais c’est le fin dialogue qui s’entame entre Louise et une jeune hôtesse de camping italienne, sorte de double rajeuni dans lequel elle se reconnaît, qui nous reste en tête. Il vient rappeler que le patriarcat est un fléau qui traverse les générations, les frontières, et qu’il a toujours de beaux jours devant lui.

3350 km de Sara Kontar (Contrebandes)

 L’artiste, photographe et cinéaste franco-syrienne Sara Kontar tente elle aussi de renouer des liens familiaux. Les « 3350 km » du titre représentent la distance qui la sépare de son père, resté en Syrie alors qu’elle s’est exilée en France avec sa sœur et sa mère. Les micros d’ordinateur crachent, la connexion saute, les pixels se démultiplient selon la fréquence de la WiFi. Tout sauf lisse, l’image vient rappeler la façon dont cette séparation forcée heurte les relations de cette famille disloquée par la guerre. L’ordinateur accentue la distance entre les êtres, engendre des silhouettes quasi abstraites– on est proche d’un film de fantômes, ou de la déformation de l’intime par le digital dans No Home Movie (2015) de Chantal Akerman. Dans ce chaos numérique, alors que la réalisatrice tente de préserver la liaison, le fil solide du récit ne rompt jamais.

Adieu Emile d’Alexis Diop (Compétition) 

Repéré avec Avant Tim (2020), le cinéaste, qui prépare son premier long, poursuit son questionnement autour de la mémoire et du deuil. Il raconte comment le sensible Tim, qui a perdu son père, doit en plus faire le deuil d’Emile, son copain charismatique, extraverti. En pleine cristallisation, il traque son ex sur les applis, se repasse inlassablement les moments heureux de leur histoire. Assumant un registre sentimental, Alexis Diop incorpore dans sa mise en scène une série de traces numériques (photos, vidéos, stories, textos…) qui s’incarnent, prennent une forme oraganique. En montrant comment leur relation s’étiole sans événement tangible, concret, le cinéaste capte les élans d’une jeunesse tentée de fuir par tous les moyens une situation trop complexe ou douloureuse. Sans jamais dégouliner de bons sentiments, le film saisit une électricité, cette fièvre qui s’empare des cœurs brisés.

La Fille qui explose de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (Hors compétition)

On connaissait leur Bébé colère (2020), mignonne poupée toon transformée en prêcheur d’apocalypse. Voici venue La Fille qui explose. Elle s’appelle Candice et a ce pouvoir – dont on ignore jusqu’au bout l’origine – d’exploser une à sept fois par jour. Au compteur quand on la rencontre : 192 explosions.  Alors que sa peau, recousue par endroits, se décharne progressivement, cette jeune femme livre une charge à la fois mélancolique et violente contre la société, reflétant plus largement l’état d’esprit d’une jeunesse qui désespère devant la guerre, le réchauffement climatique et autres drames de l’ère contemporaine. Avec une 3D teintée d’étrangeté et des images de synthèse générées à partir du moteur de jeux vidéo Unreal Engine 4, le duo Poggi-Vinel, qui a sorti récemment le sublime Eat The Night, préserve toujours la flamme révolutionnaire et politique de ses débuts. En attendant le soulèvement, on a hâte de voir quelles autres créatures peupleront leur monde dark et romantique.

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Bonus Malus de Quentin Papapietro(Contrebandes)

Dans un commissariat lambda, le quotidien de deux agents de police (Clara de Ro, excellente ; Augustin Shackelpopoulos, géniale moitié du duo DAVA, jamais sans sa clope électronique chuintante), qui mènent des interrogatoires. Dans ce film trollesque qui manie avec brio l’art du décalage, on s’amuse des faux suspenses (une trame musicale électro sombre et minimale ou des zooms apposés sur des situations aussi banales qu’une tartine beurrée qui s’écrase dans la main), des dialogues ciselés et du sentiment total d’impunité de ces antihéros policiers à la dégaine risible, galvanisés par leur petit pouvoir. On tombe définitivement amoureux du film lors d’une séquence portée par une Marie Rivière en grande forme, qui vient porter plainte – elle dit être harcelée depuis des années par l’ex-présentateur de Questions pour un champion Julien Lepers.

+ mention spéciale à Amelia Starlight de Laura Thomassaint (Compétition), dans lequel une Emmanuelle Béart complètement fascinante et enveloppée d’une lumière satinée campe une star de la chanson française sur le déclin.

Image ©Jonathan Vinet & Caroline Poggi, Unifrance, Atlas V