Vu au Festival Lumière 2023 : Billy Wilder éblouit toujours avec « La Garçonnière » 

La projection de ce grand classique au festival lyonnais rappelle à quel point la sophistication de Billy Wilder (« Certains l’aiment chaud », « Sept ans de réflexion ») n’a d’égal que sa grande subtilité psychologique. « La Garçonnière » est un grand film sur les mœurs amoureuses aliénantes, et les possibilités de s’en extraire.  


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La Garçonnière, c’est l’histoire d’un malentendu identitaire. Celui d’un type lambda (Jack Lemmon, bonhommie de l’Américain moyen) et très seul, que tout le monde prend pour un tombeur. Employé modèle dans une grande compagnie d’assurance, il gravit les échelons en prêtant son appartement new-yorkais à ses patrons mariés, pour leurs passades adultères.

Pendant que ses voisins de palier le prennent pour un Don Juan cabotin, il passe ses soirées d’hiver au parc. Ce petit business tourne vite à l’exploitation mesquine – surtout que C. C. Baxter, dit « Brin d’amour », découvre un jour que le big boss a pour maîtresse la liftière de l’entreprise (Shirley McLaine) dont il est épris… 

SCENE CULTE: « Témoin à charge »

En revoyant ce chef-d’œuvre, réalisé un an après l’énorme succès de Certains l’aiment chaud, on se prend à se demander quand la romcom contemporaine, si tristement prévisible et désuète, a tourné au vinaigre – alors qu’en 1960, le réalisateur prouvait au monde qu’une toquade amoureuse pouvait porter en germes un grand film sur la mélancolie moderne.

Billy Wilder a retenu d’Ernst Lubitsch – avec qui il a écrit La Huitième femme de Barbe-Bleue et Ninotchka – cette leçon : pour faire une bonne comédie, prenez un bon sujet de drame. La Garçonnière, si vaudevillesque soit-il, est d’abord un essai corrosif sur la solitude fabriquée par le capitalisme, le mythe abrutissant du self-made-man, l’individu dilué dans la masse inerte. Baxter, celui « qui n’arrive jamais à dire non », est à la fois celui qui tente d’appartenir à cette virilité conquérante, et celui qui la met en échec – il est incapable d’être un prédateur, au milieu de tous les machos séducteurs qui l’entourent.  

Hollywood sous toutes ses (folles) coutures

Billy Wilder filme comme personne cette petite bureaucratie abjecte où règne le sexisme ordinaire et l’exploitation, avec des profondeurs de champ interminables, des travellings qui lèvent le rideau, à la dernière minute, sur des éléments du récit. Ultime tour de force : il n’en oublie jamais d’être brillamment drôle, inventif, imprévisible. L’écriture de Wilder et I. A. L. Diamond (son coscénariste) est un engrenage implacable, une machine à produire du sens – et du rire.

Chaque détail en apparence anecdotique est destiné à rebondir, plus tard, comme par ricochet, avec une implication profonde. C’est le miroir brisé de Fran, pivot d’un rebondissement dramaturgique, mais aussi révélation d’un état d’âme (« Je m’y vois telle que je que me sens », dira-t-elle). C’est une confusion entre deux clés (celle de la garçonnière, celle des toilettes du bureau) qui aboutit sur le geste de rébellion de Baxter ; une lame de rasoir, d’abord objet de danger qui doit être caché, puis qui manquera cruellement lors d’un rasage.  

Et puis il y a la girl next door Shirley McLaine, sa coupe à la garçonne et sa répartie piquante, cousine (pas si lointaine) de Jean Seberg. Au milieu de cette comédie à huis clos, qui prend l’appartement de Baxter comme antichambre conjugale de l’Amérique pour observer ses hypocrisies, elle finit de nous convaincre que La Garçonnière, malgré son titre qui préfigure un monde d’hommes, est un grand film sur l’intelligence féminine.  

Image (c) Carlotta