La Mécanique des fluidesde Gala Hernández López(sélection Labo)
Dans ce film à la poésie post-internet obsédante, l’artiste radiographie le conformisme des applis de rencontres à travers une lettre bouleversante adressée à un masculiniste suicidaire nommé Anathematic Anarchist.
Gala Hernández López : « L’amour, les affects, les émotions, c’est un fluide, c’est ingouvernable. »
S’il-vous-plaît arrêtez tous de disparaître de Laura Thomassaint (sélection nationale)
L’autrice et metteuse en scène Laura Thomassaint (« Réunion de personnes sensibles ») saisit avec beaucoup de sensibilité et de mystère le vertige du deuil dans son fascinant premier moyen métrage, qu’on avait découvert au Festival du moyen métrage de Brive.
L’intrigue du film prend la forme de son titre, celui d’un appel déchirant, une exhortation condamnée à rester dans le vide, sans réponse, puisqu’elle s’adresse aux disparus. Peu importe cette réalité, Ferdinand choisit de conjurer le sort, et de continuer à parler à son frère Victor, mort prématurément à la fin des années 1990.
Quelques années après, sur un chat internet, il rencontre Eliott, un jeune garçon qui accepte de se faire passer pour Victor au téléphone – un jeu de nécromancie à la Vertigo qui fait du bien à la fois à l’un et à l’autre, mais mettra Ferdinand dans une tension avec sa famille.
Captant ces échanges téléphoniques comme une échappée, un brouillage dans le temps, la cinéaste retranscrit autant le tragique de la situation, que la beauté trouble de la relation qu’elle crée, une sorte de pacte tacite et secret. Alternant avec de longs plans sur des routes sombres et embrumées, réminiscences douloureuses de l’accident de Victor, elle nous désoriente quelque part entre la mémoire et la fiction, nous plongeant dans l’abîme qu’elles peuvent représenter.
Almost a Kiss de Camille Degeye (sélection nationale)
Une jeune femme vient chercher les cendres de son père dans la zone périphérique d’Albi. Dans ce road movie autobiographique empli d’une discrète dérision, la cinéaste Camille Degeye questionne le deuil et ses rites grâce une poésie toute en bribes et bifurcations.
« Montrez comment une civilisation honore ses morts et je vous dirai quelle est la morale de ce peuple. » Quand Camille découvre cette citation de Churchill ornant le crématorium où elle vient récupérer l’urne funéraire de son père, elle a l’air plutôt déboussolée. Toute emmitouflée et masquée (on est apparemment dans une période proche des confinements, quand un nombre limité de proches pouvaient assister aux inhumations), elle vient de traverser Albi au petit matin, arrivant de Paris avec le premier train. Passée le centre-ville où quelques ouvriers commencent leur journée, elle débarque alors dans une zone industrielle désolée, où un bruit de moteur résonne continuellement en sourdine. Tout cela est filmé avec la rugosité du 16mm, ce qui tranche un peu avec l’atmosphère recueillie du crématorium.
C’est alors ce genre de légers décalages qu’observe la cinéaste-actrice, le ton distant et protocolaire avec lequel l’employée funéraire s’adresse à elle, ou bien sa propre maladresse lorsqu’elle manipule l’urne – on ne le savait pas mais c’est semble-t-il déconseillé de transporter une urne dans un sac à dos.
La partie la plus entêtante du film a lieu lorsque Camille se languit dans la salle d’attente du crématorium. Sur un bout de papier, elle écrit les vers d’un poème de Simon Johannin, et on a la sensation de plonger dedans. Dans un flash-back d’impressions évasives, la thématique du deuil n’est pas plaquée artificiellement, au contraire. En quelques plans morcelés, on revient sur une rupture qu’elle a vécu, un puzzle qu’elle a fait, une recette qu’elle a préparée, une fête avec quelques amis dont elle a gardé précieusement quelques images. On pense beaucoup à dans cette manière de composer avec la richesse des sentiments, tout en errance et en digressions.
Écorchée de Joachim Hérissé (sélection nationale et internationale)
Tout en poésie et en onirisme morbide, le court métrage en stop motion de Joachim Hérissé trouble et subjugue par sa manière de rendre la chair à travers des matières textiles fibreuses.
Près d’un marécage vaseux, on y suit deux sœurs siamoises, l’Écorchée et la Bouffie, liée par une même jambe. L’Écorchée se met à faire des cauchemars de corps en morceaux, les membres de sa sœur venant un à un se greffer à elle. Avec un certain lyrisme, jouant de couleurs sales ou délavées, tirant vers le rouge, l’ocre, ou le beige, Hérissé fait surgir des images de nos angoisses liées au corps, au sang, à la décomposition, à la pourriture. Son style patchwork grouillant tend à un art du rapiéçage qui lui autorise toutes les transformations anatomiques.
Vu au festival de Clermont-Ferrand : « Almost A Kiss » de Camille Degeye
Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet (sélection nationale et internationale)
En plein enterrement de vie de jeune fille, les doutes s’installent dans une bande d’amies, tandis que deux des participantes tombent amoureuses. Maïté Sonnet réalise un beau film d’échappée sentimentale, à l’écriture d’une grande subtilité.
Le titre a ce quelque chose de bien déprimant, parfaitement résumé par une drôle de séquence du film. Dans la salle des fêtes de la station thermale où a lieu l’enterrement de vie de jeune fille de leur amie, deux des organisatrices hilares font l’inventaire de tout ce à quoi le mariage intime de renoncer : en gros, les gueules de bois, les plans d’un soir, mais surtout tout ce qui a trait au hasard, à l’exploration, à l’aventure.
Un horizon ultra maussade que la cinéaste Maïté Sonnet se plaît à mettre en doute dans un autre passage qui, avec fulgurance, fait coexister spleen et euphorie. La musique passe en sourdine, et dans un lent panoramique en état de torpeur, la réalisatrice suit les confessions successives des cinq héroïnes sur leurs échecs sentimentaux, leurs craintes liées à l’engagement et à l’usure du désir.
Attentive à chacun de ses personnages et à la complexité de ce qu’elles vivent, elle contrecarre cette ambiance et ces perspectives mornes en digressant sur l’histoire d’amour naissante entre Axelle, la jeune sœur de la future mariée, et Marguerite, une vieille amie de celle-ci. Au côté carton-pâte figé de l’EVJF, Maïté Sonnet oppose alors leur fuite dans une forêt de conte, comme une ouverture vers l’imagination et le ré-enchantement.
9ème étage droite d’Andrea Romano (sélection nationale)
Dans son appart’ de Belleville, Lorenzo se prépare à recevoir Marvin pour un plan. Mais lorsque celui-ci se présente, il est accompagné par un sans-abri qu’il vient tout juste de rencontrer… Ce premier court métrage d’Andrea Romano étonne par la vivacité et l’aisance avec lesquelles il joue des renversements de regards.
Quand Lorenzo ouvre à Marvin, il y a tout de suite quelque chose d’électrique entre eux. Mais ce dernier cache un homme derrière lui, un sans-abri qu’il vient de rencontrer, et qui voudrait prendre une douche. Dans le regard de Lorenzo pris de court, on sent alors la sidération mais aussi toute un fatras d’apriori accusateurs, autant soulignés par les questions qu’il lui pose (« Vous êtes défoncé ? ») que par la mise en scène qui s’attarde sur le corps de l’homme à la rue. Lorenzo hésite mais accepte de prêter sa salle de bains.
Tandis que l’homme se lave, Marvin le mate et l’érotise, il ira plus tard jusqu’à lui toucher la jambe sans lui demander son consentement. Les œillades voluptueuses entre Lorenzo et Marvin se transforment alors en foudres. En quelques minutes où tout bascule, le cinéaste Andrea Romano fait sentir à quel point le regard peut figer, objectiver par la pathologisation ou par la fétichisation sexuelle. À travers Lorenzo, il met surtout brillamment en scène un héros qui questionne et libère son propre point de vue.