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Festival d'Automne 2024 : les marges à l'honneur

  • Belinda Mathieu
  • 2024-07-16

[SPECTACLE VIVANT] Au festival d’Automne, à la rentrée, les récits à la marge, féministes, queer et décoloniaux se déploient sous une multiplicité de formes et de pratiques : théâtre, danse, stand-up, concert, déambulations… Parfois tout à la fois. Les formes transdisciplinaires sont-elles les plus opérantes pour servir ces récits qui ne rentrent pas dans les cases ?

MILLE ET UNE NUITS

Sorour Darabi navigue dans une esthétique transdisciplinaire entre arts plastiques, poésie et chant, dans laquelle le corps reste au centre. Ce chorégraphe iranien installé en Europe questionne le genre à travers un prisme queer, dans des pièces à fleur de peau. Pour Mille et Une Nuits, il explore les variations des voix transgenres, modifiées par les hormones, dans un opéra déambulatoire qui réinvente le célèbre conte dans une perspective queer. Plongée dans la nuit, une communauté de danseurs, musiciens, acteurs et chanteurs offre une réécriture du conte, qui transcrit la diversité de ce recueil de textes anonymes, issus de multiples sources indo-persanes, tout en interrogeant la fascination orientaliste et les projections érotiques de la réception occidentale. Et Shéhérazade, ici érigée en icône LGBTQ, dépasse son statut de ressort narratif pour troubler les représentations.

du 16 au 19 octobre, à La Villette

Trilogie cadela força I A noiva e o boa noite Cinderela

En 2008, Pippa Bacca écumait les routes d’Europe en auto-stop vêtue d’une robe de mariée pour prôner l’amour entre les peuples. La performance n’a jamais atteint son terme, puisque l’artiste italienne a été violée et tuée avant de pouvoir rentrer chez elle. La prenant comme figure tutélaire, la metteuse en scène brésilienne Carolina Bianchi nous fait visiter un enfer dans A noiva e o boa noite Cinderela (« La Mariée et bonne nuit Cendrillon »), premier chapitre du triptyque Trilogie cadela força (« Force salope »). Dans un espace scénique entre deux mondes, quasi inconsciente après avoir (véritablement, mais sous contrôle d’un médecin et d’un psy) ingéré une boisson du violeur, elle est manipulée par les interprètes de sa compagnie avec soin et tendresse. Sa voix résonne sur scène, comme un fantôme, racontant une série d’actes de violences envers les femmes, tentant de restituer les bribes d’une mémoire fragmentée par le trauma, revendiquant le théâtre comme moyen de raconter l’indicible.

du 6 au 8 novembre, à La Villette

Cavaliers impurs

Deux cavalières partent combattre l’hétéronormativité, la misogynie et l’âgisme, dans la bonne humeur. Déjà complices dans Consul et Meshie (2018), Latifa Laâbissi et Antonia Baehr incarnaient deux chimpanzés du début du xxe siècle qui vivaient chez des humains, pour observer avec facétie la dichotomie nature/culture. Dans Cavaliers impurs, elles se retrouvent pour explorer une succession de références artistiques ou musicales, figurée par un grand carton qui les entoure comme une cabane (le design est signé Nadia Lauro), qui sert autant de décor que d’accessoire. Dans ce jeu enfantin, elles deviennent danseuses du ventre, duo comique ou guitaristes punk. Forte de leur complicité, ces deux artistes de la même génération (elles ont 54 et 60 ans) se dévoilent érotiques, joueuses, combattantes, défiant les clichés.

du 14 au 16 novembre, au Centre national de la danse

FAMPITAHA, FAMPITA, FAMPITÀNA

Remarquée grâce à son solo g r oo v e, Soa Ratsifandrihana tentait de capter ce balancement rythmique, dans une pièce minimaliste et entraînante. Pour sa deuxième création, cette jeune chorégraphe franco-malgache – passée chez des pontes comme Boris Charmatz et Anne Teresa de Keersmaeker – convoque une communauté d’artistes (le musicien Joël Rabesolo et les danseurs Audrey Mérilus et Stanley Ollivier) pour déployer les récits des diasporas d’Haïti, de Martinique et de Madagascar. En se racontant en textes, musiques et danses, ils inventent sur scène les histoires qu’ils auraient voulu entendre, formant une communauté soudée d’insulaires exilés. En traversant la complexité de la culture des pays colonisés, teintée d’assimilation et d’eurocentrisme, ils décolonisent les imaginaires, transportent leurs héritages dans d’autres univers, hip-hop et futuristes. À coups de footwork véloces en bottes argentées, ils tissent un réseau de voies d’émancipation.

du 18 au 22 septembre à la MC93

Cécile

Elle a été clown en milieu hospitalier, animatrice pour personnes en situation de handicap, militante à Notre-Dame-des-Landes et actrice porn-activiste pour l’association Fuck for forest. En peignoir, assise sur un tabouret, micro à la main, Cécile Laporte nous fait traverser tous les moments de cette vie trépidante dans une performance de trois heures orchestrée par Marion Duval, metteuse en scène et amie proche. Sous des apparences improvisées, cette pièce bien ficelée nous entraîne jusqu’au bout de ses délires, entre numéro de clown et mise en scène d’une orgie. Cette performance d’inspiration autobiographique, qui relève du stand-up, du théâtre et de la conférence, surprend chaque seconde. Aussi délurée que touchante, Cécile-ogresse, bête de scène, prend tout l’espace, met en valeur les trajectoires féminines, et offre un bel exemple d’héroïne contemporaine.

du 9 au 19 octobre, au Théâtre de la Bastille

PETITES JOUEUSES

Chorégraphe majeur de la scène contemporaine, connu pour ses métamorphoses, François Chaignaud brille par sa danse virtuose, sa maîtrise du drag et sa voix haut perchée. Dans Petites Joueuses, ce geek de la période médiévale (qui chantait notamment les compositions d’Hildegarde de Bingen, intellectuelle du xiie siècle, dans Soufflette, en 2018) nous fait traverser l’exposition du Louvre « Figures du fou. Du Moyen Âge à la Renaissance », qui décrypte cet archétype subversif. Douze acolytes deviennent nos guides déjantés, s’attardant tant sur les œuvres elles-mêmes que sur les vestiges médiévaux du bâtiment. Dans la continuité des chorégraphes qui ont investi le musée (la visite dansée de Mehdi Kerkouche ou les courses parmi les peintures de l’aile Denon d’Anne Teresa de Keersmaeker et Némo Flouret), François Chaignaud et son équipe offrent une visite aussi renseignée et délurée que queer.

du 4 au 16 novembre, au Louvre

Image : © Harilay Rabenjamina

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