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Philippe Faucon, portraits du féminin

  • Raphaëlle Simon
  • 2015-10-07

Après La Désintégration, qui retraçait l’itinéraire de jeunes Français vers la radicalisation religieuse et le terrorisme, vous racontez l’histoire d’une intégration réussie avec Fatima. Ce film est-il le contrechamp du précédent ?
Il y a une expression qui qualifie bien La Désintégration. « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » En sortant de ce film, j’avais besoin de raconter aussi la forêt qui pousse… L’islamisme, l’intégrisme, les problèmes dans les quartiers sont des sujets surreprésentés au cinéma et dans les médias. En revanche, il y a des gens dont on ne parle jamais : ceux qui se lèvent à 5 heures du matin pour ramasser les poubelles, pour faire des ménages, des gens qui veulent à tout prix que leurs enfants trouvent une meilleure place qu’eux dans la société. Il y avait un décalage entre leur représentation et leur place réelle dans la société, et j’ai eu envie de rattraper ce retard.

L’aspect politique et didactique du sujet n’a-t-il pas tendance à faire écran à la mise en scène ?
L’écriture et la forme comptent beaucoup, c’est essentiel pour approcher et exprimer le fond et le sujet. C’est ce qui fait qu’on est dans une écriture cinématographique et pas dans une enquête journalistique.

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Vous découpez le film en séquences courtes, sans gras – on est loin du naturalisme contemplatif. L’épure est-elle pour vous une priorité de mise en scène ?
La meilleure façon d’approcher une histoire, c’est de la débarrasser de tout ce qui l’encombre, donc j’essaie, pour chaque scène, de me demander : « Qu’est ce qui est vraiment important, qu’est ce qui ne l’est pas ? » Je suis très sensible à l’écriture de Kenji Mizoguchi, par exemple, à sa façon de raconter en un seul plan ce que d’autres découperaient en dix-huit.La mise en scène qui se donne à voir, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’être attentif aux comédiens et aux personnages, au jeu, et de trouver l’axe, le cadre, le découpage qui va permettre au jeu de se déployer.

Quand la productrice Fabienne Vonier vous a proposé d’adapter le livre Prière à lune de Fatima Elayoubi, avez-vous été tout de suite partant ?
Le besoin vibrant de cette femme d’exprimer quelque chose qui n’était pas entendu a résonné en moi dès la première lecture. Mais ce n’était pas évident d’imaginer faire un film de ce livre qui est une sorte de journal écrit dans une forme introspective très littéraire. Il a fallu que je rencontre l’auteure pour comprendre comment en faire un film : par la force de ce personnage extraordinaire. C’est une femme qui a été déscolarisée assez tôt dans son pays, qui a suivi son mari en France sans savoir parler le français, qui a donné naissance à des filles qui ne parlaient pas la même langue qu’elle. Cette séparation par la langue l’a beaucoup frustrée, et elle s’est mise à écrire en arabe les choses qu’elle n’était pas en mesure de dire en français à ses filles. C’est aussi une femme qui a toujours vu se poser sur elle un regard réducteur, en tant que femme, immigrée, ne parlant pas français, faisant des ménages. Donc elle avait aussi besoin de dire des choses à la société, les pensées d’une femme immigrée qui essuie la poussière.

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En faisant les portraits de cette femme et de ses deux filles, vous dessinez trois modèles d’intégration différents.
Ces trois femmes sont issues de générations différentes, elles ont des personnalités qui leur sont propres. Fatima est accrochée à l’effort, elle n’a accès qu’à un type de travail déconsidéré et sous-payé. Sa fille aînée, Nesrine, a un désir d’élévation sociale. Souad, la plus jeune, est dans une sorte de révolte adolescente un peu violente et désordonnée, mais elle a le même désir que sa mère de ne pas se laisser enfermer dans quelque chose qui n’est pas elle.

Chacune d’entre elles a aussi son propre langage : Fatima, la mère, s’exprime en arabe, dans un registre souvent très poétique ; Nesrine, l’aînée, parle elle un français assez académique ; alors que Souad, la cadette, utilise un langage très urbain.
Le langage de Souad et ses amis exprime une vitalité qui est celle de leur âge, de leur envie de rire, de vivre, de rester dans des attitudes de dérision par rapport à ce qu’ils considèrent comme dérisoire, ils ne s’ennuient pas dans la bienséance. Il y a aussi chez eux quelque chose de l’ordre de la représentation, du spectacle, voire de la compétition.

L’école est un enjeu important du film : Fatima prend des cours du soir pour apprendre le français, Nesrine passe les concours de médecine, Souad est en échec scolaire…
À condition d’y trouver sa place, ce qui n’est pas toujours le cas, l’école est un moyen d’avoir accès à quelque chose d’autre. Fatima voit d’ailleurs l’école comme la seule possibilité de sortir de l’enfermement social dans lequel ses filles sont confinées. Du coup, elle est sans doute surinvestie dans leur réussite scolaire. Elle a la hantise que la cadette soit reléguée socialement, et elle fournit énormément d’efforts pour que l’aînée réussisse médecine.

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Comment avez-vous trouvé Soria Zeroual, qui joue Fatima ?
Je doutais qu’il existe une comédienne française capable de jouer quelqu’un qui ne parle pas bien le français… On a tout de même organisé un casting en France, mais ça sonnait faux, de l’avis même des intéressées. Du coup, on a fait un casting au Maroc, mais on n’a trouvé personne qui correspondait à l’âge que je cherchais, environ 45 ans. On s’est donc tourné vers des interprètes non professionnelles. On a fait des essais avec des femmes rencontrées dans des associations de quartier, mais le résultat était souvent assez maladroit. Jusqu’au jour où on m’a montré l’essai de Soria. Elle avait une vraie présence à l’image, tout en étant calme. Elle était là avec certitude, sans pour autant en faire trop.

Comment s’est passé le travail avec cette interprète non professionnelle ?
Le premier jour de tournage, elle était un peu tendue, donc on a commencé avec des choses pas trop compliquées, pour lui permettre de rentrer dans le film. Ensuite, elle s’est vite adaptée, ce qui n’est pas évident pour quelqu’un de sa génération. C’est beaucoup plus facile pour les jeunes comédiens, car ils ont toujours une certaine culture cinématographique, ils ont vu des films, ils savent grosso modo comment ça se fait, ils ont un certain sens de l’analyse. Mais elle était très attentive. Du coup, elle comprenait très bien mes intentions, ce que j’attendais d’elle. De là à réussir à les exprimer dans une situation fabriquée, en respectant les marques techniques, ce n’était pas évident, et je trouve qu’elle s’en est vraiment bien sortie ! C’est une femme qui vient d’un milieu et d’une culture où on est beaucoup dans la retenue, mais je trouve que dans le film elle offre une large palette de jeu, que ce soit dans la colère, la tristesse, le plaisir.

Existe-t-il des points communs entre Soria Zeroual et son personnage ?
Oui, elle a des enfants pour qui elle a les mêmes inquiétudes que Fatima, avec qui elle a les mêmes difficultés à communiquer. Elle est dans la même situation de quasi-précarité, elle aussi fait des ménages à des endroits éparpillés, elle rentre sans doute tard le soir, elle n’est pas là à des moments importants pour ses enfants, donc elle est en butte aux mêmes reproches de leur part… Je crois qu’elle a accepté de faire le film dans une volonté de s’engager par rapport à ce personnage, de le défendre. Comme Fatima, je pense qu’elle a besoin d’affirmer quelque chose de valorisant d’elle-même vis-à-vis de ses enfants. Quand elle est venue au Festival de Cannes pour montrer le film, elle n’a pas été bluffée plus que ça, ça restait quelque chose de très relatif au vu de son parcours chargé de difficultés. En revanche, ce qui a été fort pour elle, c’est quand ses enfants l’ont appelée pour lui dire qu’ils étaient fiers d’elle.

Fatima
de Philippe Faucon(1h19)
avec Soria Zeroual, Kenza Noah Aïche…

Tags Assocíes

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