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Idir Serghine et Hélène Milano : "L’ACID c’est aussi un lieu d’avant-garde politique, où des artistes se révèlent"

  • Léa André-Sarreau
  • 2021-06-08

Coprésidents de l’ACID, collectif de cinéastes qui œuvre pour la diffusion du cinéma indépendant, Idir Serghine et Hélène Milano nous ont parlé de leur vision avant-gardiste du cinéma et de leur rapport privilégié aux spectateurs.

L’ACID, Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion, est née suite au manifeste Résister, un texte signé en 1991 par 180 cinéastes, dont Lucas Belvaux, Catherine Corsini, Tonie Marshall, Bertrand Tavernier… Quelle vision du cinéma ce texte défendait-il ?

Idir Serghine : À l’époque, les fondateurs de l’ACID se sont rendu compte qu’une certaine typologie d’œuvres, notamment les films d’auteur, avaient de plus en plus de mal à être diffusés, exposés en salles. Ils souffraient déjà de la concurrence de ce que l’on appelle aujourd’hui les blockbusters. Ils ont aussi constaté que ces films n’arrivaient pas à exister dans les petites et moyennes villes, à survivre dans les salles mono-écrans. En réaction, ils sont partis sur les routes avec leurs bobines 35 mm sous le bras, pour montrer leurs copies à tout le réseau de salles en France, de manière artisanale.

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Ce manifeste correspond encore à l’état d’esprit de l’ACID aujourd’hui ?

I. S. : Le propos du manifeste, qui consiste à dire que les films doivent être partagés partout, ne pas disparaître des écrans au bout d’un durée trop courte d’exposition, est toujours valable aujourd’hui, même si nous faisons face à d’autres difficultés avec l’arrivée du numérique. L’objectif reste le même. Défendre le cinéma au sens large, sous toutes ses formes. De ce point de vue-là, nous sommes raccord avec l’idée des pères-fondateurs de l’ACID. Dans le manifeste, il y a cette belle phrase d’Henri Langlois : « Tous les films sont égaux ». Elle est au centre de nos visions politiques et esthétiques. On se bat pour les auteurs mais aussi pour que toutes les représentations puissent être partagées et discutées.

Hélène Milano : L’ACID est un endroit de résistance. Il est d’autant plus actif qu’il est incarné par des personnes qui font vivre cette résistance, qu’il permet de construire un chemin pour des réalisateurs qui n’auraient peut-être pas pu se faire connaître. Le projet de l’ACID, c’était de créer un maillon entre les films, les œuvres et les salles, donc le public. La diversité et l’accessibilité des œuvres, c’est un combat, un enjeu démocratique qui n’a pas bougé. Même s’il prend des formes différentes dans le combat politique, le projet n’a pas pris une ride. Sur le fond, il a toujours cette force vivace.

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Concrètement, comment travaillez-vous pour lutter contre les inégalités de diffusion des films ?

I.S : Le premier volet, c’est l’action au quotidien. On travaille avec un réseau de salles adhérentes qui maillent tout le territoire [dont deux cinémas du groupe mk2, qui édite Trois Couleurs : le mk2 Beaubourg et le mk2 Quai de Seine, ndlr.], mais aussi des salles « camarades » qui sont attentives aux films de l’ACID.  Ils font le travail avec nous pour montrer les films. On a aussi dans notre équipe un programmateur qui se bat comme le ferait un distributeur pour que les films soient montrés partout. Il faut travailler la durée, convaincre les exploitants de ne pas faire disparaître les films au bout de 15 jours ou trois semaines.

De notre côté, il n’y a pas d’enjeu financier ou économique, et c’est aussi une force, parce que la discussion avec les exploitants est plus humaine, il y a de l’affection, du désir dans les deux sens. On organise aussi l’ACID POP, action culturelle qui est aussi une université populaire : le cinéaste du film, accompagné d’un cinéaste-accompagnant, vient discuter d’une question d’esthétique, de cinéma lors de la projection du film. Pas de manière théorique, mais de manière concrète, pratique.

H. M. : L’autre volet de notre travail, c’est l’engagement auprès de la jeunesse, avec la création des Jeunes Ambassadeurs. Ce dispositif permet à de jeunes cinéphiles de découvrir les films de l’ACID pendant Cannes [une section parallèle du festival composée de neuf long-métrages, qui permet de mettre en lien les cinéastes avec des professionnels et d’accompagner la promotion des films, ndlr], puis d’animer des discussions lors de projections dans leur cinéma de quartier. Cette transmission vis-à-vis de la jeunesse est très enthousiasmant.

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L’ACID est présente au festival de Cannes depuis 1993. Qu’est-ce que ça représente pour l’association ?

H. M. :  La période de Cannes représente notre volet international, et on y va avec beaucoup de désir, de joie. Pour la sélection 2021, on a reçu quasiment 400 films, soit une hausse de 30% par rapport à l’année dernière. Depuis la réouverture des salles, trois films qui faisaient partie de notre sélection « hors les murs » de l’année dernière sont sortis : Si le vent tombe de Nora Martirosyan, The Last Hillbillie de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe et Il Mio Corpo de Michele Pennetta. Trois films dont on est très fiers.

Guy Gilles, Sophie Letourneur, Virgil Vernier, Benoît Forgeard… Vous soutenez beaucoup de cinéastes à la sensibilité décalée, marginale. Vous définiriez votre ligne éditoriale ainsi ?

I. S. : Justement, à l’ACID, on se dit souvent qu’il n’y a pas de ligne éditoriale. Les choses se passent à travers le regard des cinéastes, et ils sont tous tellement différents... Oui, les films que l’on défend sont souvent « à la marge ». Mais ce ne sont pas des films « marginaux ». Ils sont à un endroit précis du spectre, et il nous semble primordial de les ramener au centre. D’autant plus que ce centre-là ne peut que se nourrir de la marge. Jean-Luc Godard disait : « La marge, c’est ce qui fait tenir les pages ensemble. » Dans un bouquin, la marge c’est ce qui tient le livre. On est un peu comme ça à l’ACID.

Et puis, on défend des premiers films, mais aussi des cinéastes déjà installés, comme Mariana Otero dont on a programmé le film L’Assemblée à Cannes en 2017. On ne fait pas de jeunisme. L’ACID c’est aussi un lieu d’avant-garde politique, où des artistes se révèlent. Il y a beaucoup de cinéastes, comme Robert Guédiguian par exemple, qui est l’un des premiers signataires, qui ont été découverts à l’ACID. Ou encore Justine Triet, dont le premier film a été soutenu par l’ACID, et qui est aujourd’hui une cinéaste reconnue.

H. M. : Notre objectif, c’est de favoriser un terreau pour l’émergence, qu’il n’y ait pas des cinéastes étouffés à leurs débuts. Tout système fabrique de la norme. À l’ACID, notre place c’est justement de questionner ça, de faire en sorte qu’on ne soit pas étouffé par des normes insidieuses. Le fait d’être dans ces engagements auprès de regards singuliers, c’est une façon de rester en mouvement.

Quels ont été les enjeux de la réouverture des cinémas, le 19 mai dernier, pour vous ?

H. M. : Dernièrement, il y a eu un gros enjeu par rapport au nombre de films à sortir, et le fait qu’on puisse petit à petit progresser vers une régulation. En temps de crise, et dans un désir de solidarité vis-à-vis de tous les films et surtout pour le public, on aurait pu exceptionnellement mettre en place des mécanismes de régulation. Mais certains ont joué la politique de la chaise vide [en avril dernier, l’Autorité de la concurrence a reconnu que les mécanismes de régulation étaient insuffisants dans le secteur cinématographique, et suggéré aux principaux acteurs de la distribution d’acter un accord commun concernant un échelonnement du calendrier de sortie des films. Face à la réticence de certains grands groupes, l’entente n’a pas eu lieu, ndlr].

C’est dommage, parce que c’était une occasion historique de penser les choses différemment. 80% des films sont produits par la filière indépendante, et se partagent au mieux 30% des séances. Il y a un déséquilibre frappant, et une prise de conscience est en train d’émerger à cet endroit-là. S’il n’y a pas un engagement fort du politique pour que l’exception culturelle soit préservée, que le public ait accès aux œuvres, nous n’avancerons pas.

I.S. : À l’ACID, on croit que le marché ne s’auto-régule jamais. S’il n’y a pas de mécanisme de sanction, ou des bonus pour saluer financièrement la multiprogrammation des salles, les films plus confidentiels vont mécaniquement se faire écraser par les plus gros distributeurs qui leur imposeront du Star Wars. Je ne crois pas que ni les gros exploitants, ni les gros distributeurs, aient le désir immédiat de s’auto-réguler. L’avis rendu par la haute autorité de la concurrence était un beau signal : il est possible que vous puissiez vous entendre, réfléchissez à un calendrier. Sauf qu’à l’ACID, on pense qu’il faut imposer des contraintes, parce que la règle du marché, c’est quand même la prédation, la loi du plus fort.

Malheureusement, ça s’est vérifié. Du point de vue de l’ACID, c’est une occasion manquée, mais nous sommes comme une petite armée. On travaille de manière très structurée, ardemment, à définir nos lignes politiques, à les documenter, à fournir des données chiffrées.

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