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Emmanuel Mouret : « Même si je fais des films dits de couples, je veux des récits à suspense »

  • Damien Leblanc
  • 2024-11-04

[INTERVIEW] Avec « Trois amies », Emmanuel Mouret signe un brillant mélodrame sentimental où s’entrecroisent les vies amoureuses de trois enseignantes (India Hair, Camille Cottin et Sara Forestier). Habitué aux comédies de marivaudage, le cinéaste de 54 ans renouvelle ici son regard sur le genre romantique et semble se livrer plus intimement qu’à l’accoutumée. Rencontre avec un auteur désormais incontournable du cinéma français. 

Ce qui frappe d’emblée dans Trois amies est l’usage d’une voix off au ton bienveillant, dont on comprend vite qu’il s’agit de celle d’un personnage disparu. Sa façon de narrer l’histoire en devient particulièrement touchante. Cette idée est-elle venue d’autres films ?

Ce n’est qu’après coup que je me suis aperçu qu’il y avait des cas similaires. Quand on fait des films, c’est souvent parce qu’on a aimé des cinéastes et qu’on essaie d’arriver à leur cheville ou leur genou. J’assume ainsi d’être influencé, tout comme j’assume le fait d’être parfois assez inconscient de mes influences. C’est surtout la première fois dans un film que j’avais un personnage qui mourait. Et dans ce rapport à la mort, je trouvais intéressant d’avoir ce côté grave mais aussi de l’alléger. De la même manière que dans la vie les personnes qui ne sont plus là continuent d’être là et peuvent parfois continuer d’être là d’une façon légère.

« Trois amies » d’Emmanuel Mouret : les fantômes de l'amour

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Un autre aspect m’intéressait beaucoup avec ce personnage qui disparaît en quelque sorte à cause de son amour possessif pour sa compagne : c’est qu’en mourant il termine son analyse et se trouve d’un coup doué d’un amour plus véritable ou en tout cas plus détaché, même si toujours soucieux et inquiet pour elle. Je trouvais ce basculement assez joli.  Et c’est pour ça qu’au début le fait qu’il soit le narrateur permet d’accélérer le récit et de jouer avec le public. Beaucoup de choses m’ont donc porté vers ce procédé ludique et mélancolique à la fois. En parlant des gens qui ne sont plus là, on parle aussi du cinéma, où des gens disparus sont en fait toujours là et peuvent nous raconter des histoires. Si l’on veut citer des films avec des voix off de morts qui parlent, il y a bien sûr Sunset Boulevard de Billy Wilder ou Le Ciel peut attendre, d’Ernst Lubitsch, où le personnage principal est au Purgatoire.

Trois amies porte une grande attention à la question du désir, notamment chez Joan, jouée par India Hair. Elle constate qu’elle n’a plus d’attirance pour son compagnon, joué par Vincent Macaigne, et elle choisit de l’exprimer pleinement, même si cela se révèle douloureux…

Cela vient d’une note que j'avais prise autour d'un personnage confronté à ce dilemme et qui a un problème de loyauté. Joan vit avec quelqu'un pour qui elle n’a plus de sentiments amoureux même si elle a toujours de l’affection pour lui. Elle n’en dort plus la nuit et elle avoue tout à son compagnon parce qu'elle a envie d'être loyale vis-à-vis de lui. Et cela devient vite un drame. Ce qui m'intéressait était le côté presque terrible de cette forme de loyauté qui plonge finalement Joan dans une existence tragique.

Et c'est en partant de ce fil que se sont construites les autres histoires, comme celle du personnage de Camille Cottin. Elle n'éprouve pas du tout ce même scrupule car l'amour représente pour elle une forme d’enfer et de cauchemar très désagréable à vivre. Il est plus loyal selon elle de jouer la comédie envers quelqu’un avec qui on est plutôt que de lui dire la vérité. Pour faire plaisir à son compagnon [joué par Grégoire Ludig, ndlr], elle ne lui dit donc pas que le couple n’a rien à voir pour elle avec la passion amoureuse.

Et qu’avez-vous projeté de vos propres affects et émotions dans Trois amies et ses personnages ? 

Disons qu’explorer une situation - et là en l'occurrence plusieurs situations -, c‘est se mettre à la place de chacun des personnages et plonger dans leur monde intérieur. Tous ces personnages sont des facettes de nous-mêmes. Et nous sommes en nous-mêmes des êtres clivés, on est plusieurs personnalités à la fois et on ne sait pas toujours très bien ce qu'on pense des choses. C’est pour cela que dans un film, on peut très bien comprendre un personnage mais aussi parfaitement comprendre un autre personnage.

Comment faire précisément pour se renouveler dans le domaine de la comédie sentimentale ? 

La question de se renouveler est évidemment toujours là. Ensuite ce sont les situations qui dictent la mise en scène. Même si je fais des films dits de couples, de désirs et de sentiments, je veux que ce soient des récits à suspense, où le public a des attentes qui se jouent et se déjouent. Une partie du travail d’écriture et de mise en scène consiste à ce que le spectateur puisse se projeter et projeter ses propres images. Dans la mise en scène, il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, les choses dont on s'approche et les choses dont on s'éloigne. C’est comme l’érotisme, qui s’appuie sur ce qu’on montre et ce qu’on cache.

Voilà dix ans que n’avez plus joué dans un de vos films. Au début de votre filmographie, vous étiez à la fois acteur et réalisateur mais votre dernière apparition devant la caméra remonte à Caprice en 2014. Pourquoi une telle évolution ?

Oh, je n'ai jamais eu la vocation d'être acteur ! C'est un peu un hasard. C'est surtout parce que Changement d'adresse, dans lequel je jouais, avait bien marché [sortie en 2006, cette comédie avec aussi Frédérique Bel, Fanny Valette ou Danny Brillant avait totalisé près de 140 000 entrées, ndlr]. Et ça allait donc un peu de soi que je joue dans mes films suivants [Un baiser s’il vous plaît, Fais-moi plaisir et L’Art d’aimer, ndlr]. 

Mais après Caprice, j’ai réalisé Mademoiselle de Joncquières et ma mise en scène est d’une certaine façon devenue de plus en plus exigeante. Et je serais incapable à la fois de jouer et de me mettre en scène dans la mesure où je fais maintenant des plans trop complexes et sophistiqués pour avoir la possibilité et le talent de tout faire en même temps. Comme j'ai un grand plaisir à être derrière la caméra et à diriger des comédiens exceptionnels, je n’ai absolument aucun regret. Quand je jouais c'était un peu pénible, il fallait que j'apprenne mon texte, je n'étais pas sûr de moi. Alors que là les tournages sont beaucoup plus excitants.

Si vous êtes un réalisateur discret qui n’expose pas sa vie sur la scène médiatique, les 13 nominations aux César 2021 pour Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait ont-elle changé quelque chose ? Avez-vous senti une reconnaissance nouvelle du cinéma français ?

Trois amies est mon douzième film et tout s'est fait relativement lentement dans ma carrière donc je ne suis pas trop dupe. Cela me fait très plaisir que mes films intéressent les César, les grands festivals et le public, mais après je sais que c'est un métier où tout est d’une certaine manière écrit sur du vent. Si on est cinéphile, on voit que les carrières des cinéastes ne sont pas des lignes droites et j'essaie ainsi de ne pas me raconter grand-chose.

Depuis vos débuts au cinéma il y a 25 ans, des changements sociétaux comme #MeToo sont intervenus. Est-ce que cela a eu un impact sur votre écriture ? 

Oui, ce sont des questions qui m'intéressent. Ces questions sociétales sont le seul endroit aujourd'hui où il y a quelque chose de progressiste. On est en recul finalement sur plein d'acquis sociaux et c'est le seul lieu où il se passe des choses intéressantes. Le reste n'est qu'un vaste recul. Et il ne faut pas oublier que j'ai coécrit ce film avec Carmen Leroi, scénariste et cinéaste elle aussi très concernée par ces sujets.

Vous sentez-vous sur ce plan engagé et militant ? 

Du militantisme, j'essaye justement d’en faire en essayant de bien faire mes films et de bien représenter les relations et les considérations entre les uns et les autres. Une grande partie du travail d’écriture consiste à être responsable de ce qu'on montre des relations. Cela ne nie pas la cruauté et la violence, éléments qu’on voit aussi dans le film. Mais il faut faire attention à la façon dont on représente le monde.

Seriez-vous en cela tenté à l’avenir par d’autres styles et genres filmiques ? Et par l’envie de représenter le monde autrement que par la comédie sentimentale ?

Déjà, je ne me pose pas la question du style quand je fais un film. Je m’interroge plutôt sur la tonalité. En l'occurrence ce qui m'importait était que Trois Amies soit à la fois grave et léger. Après je pense que lorsqu'on s'intéresse aux couples ou aux relations triangulaires, on s'intéresse à la société. Car la plus petite société qui existe c’est le couple. Le minimum politique et sociétal c’est la relation à deux. Dans les histoires d'amour on parle de tout et notamment des relations au sein d'une société. S'interroger sur ce que sont l'amour mais aussi la séparation, c’est parler de tous nos usages. On peut parler du monde entier en s'intéressant à deux personnes...

Trois amies d’Emmanuel Mouret, sortie le 6 novembre, Pyramide (1 h 57)

Images © Pascal Chantier

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