- Paradiscope
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- 3 min
« Dopesick » : la crise des opioïdes à la loupe
- Nora Bouazzouni
- 2021-11-08
La minisérie de Danny Strong (cocréateur de la série "Empire" et… interprète de Jonathan dans "Buffy contre les vampires" !) retrace l’apparition et les conséquences, depuis les années 1990, d’une épidémie nord-américaine, celle des opiacés, nourrie par les antidouleurs surpuissants créés par Big Pharma.
En 1995, alors que l’un de ses brevets est sur le point d’expirer, l’entreprise pharmaceutique américaine Purdue Pharma, fondée un siècle plus tôt, dégaine une arme de destruction massive déguisée en médicament « miracle ». L’OxyContin (dénomination commerciale de l’oxycodone), antalgique surpuissant de la famille des opioïdes, inonde alors le marché états-unien avec la promesse de soulager tous types de douleur. Pour convaincre des médecins et un public méfiants – les opioïdes peuvent rendre rapidement dépendants –, la famille Sackler, qui détient l’entreprise, accumule les campagnes de communication, déploie une flotte de commerciaux surmotivés à l’argumentaire bien rodé quoique mensonger, multiplie les séminaires tous frais payés animés par des experts grassement rémunérés et cible en priorité les zones rurales où les emplois pénibles abondent, comme les douleurs chroniques.
Dopesick, adaptée d’un livre enquête de la journaliste (ici coscénariste) Beth Macy sorti en 2018, raconte la fabrication de ce que l’on appelle aujourd’hui la « crise des opiacés » – un demi-million de morts par overdose aux États-Unis ces vingt dernières années et deux millions de personnes accros dans tout le pays. En huit épisodes, la minisérie remonte aux racines du mal et démêle la pelote des facilitateurs : ambition insatiable des Sackler, laxisme de la justice, collusion avec la FDA (Food and Drug Administration, qui autorise et encadre la commercialisation des médicaments aux États-Unis), complicité des médecins et des hôpitaux, financement des associations prétendument indépendantes de lutte contre la douleur…
Les sauts dans le temps (une tendance sérielle dont on commence sérieusement à se lasser) et le récit choral, dopé par un casting trois étoiles, permettent d’attaquer le sujet sous tous les angles, de faire résonner les vécus et de créer l’empathie. Michael Keaton incarne un médecin d’une bourgade minière de Virginie qui voit sa communauté défigurée par l’antalgique qu’on l’a convaincu de prescrire ; Michael Stuhlbarg est Richard Sackler, génie du mal derrière l’OxyContin et messie antidouleur autoproclamé, qui soulage sa conscience en prônant la responsabilité individuelle de « junkies » face aux consommateurs « légitimes » ; Peter Sarsgaard et Will Poulter jouent deux flics déterminés à faire tomber Purdue Pharma, aidés par Rosario Dawson, agente de la D.E.A. (Drug Enforcement Administration, l’agence chargée de lutter contre le trafic de drogue) ; et Kaitlyn Dever (nommée aux Golden Globes pour la bouleversante série Unbelievable), jeune lesbienne qui rêve d’ailleurs, voit sa vie bouleversée par le médicament après un accident dans la mine où elle travaille.
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Lire l'articleL’enchevêtrement de facteurs socio-économiques favorables à l’adoption massive des opiacés, dans certaines zones rurales et pauvres, fait écho, en négatif, à l’avidité sans limite et à l’obscène indifférence de Purdue Pharma, philanthrope des élites et avatar d’un capitalisme totalement décomplexé. Si les deux premiers épisodes ont la main un peu lourde sur la B.O. (Johnny Cash pour souligner l’Amérique profonde, Mazzy Star dans les scènes romantiques, de l’opéra italien pour illustrer l’opulence des Sackler…) et si la réalisation s’éparpille (on a connu Barry Levinson plus en forme), la suite se montre convaincante, et Dopesick, pleine d’espoir malgré la noirceur du sujet, a le bon goût de ne jamais sombrer dans le misérabilisme.
le 12 novembre sur Disney+