Où mène-t-il ce bolide dans lequel ont embarqué Poyo, Amandine, Demetrius et Sweetie ? Au crash dévastateur ou vers des cieux plus cléments ? Impossible de le dire, peut-être que les deux directions sont envisagées – après tout, iels n’espèrent rien d’autre qu’une révolution dans le chaos. L’artiste Andres Komatsu approche leur embardée furieuse comme une fulgurance amoureuse, une rencontre improbable, insondable – dans ses précédents courts Le Monolithe abandonné (2020) ou Les Fêlures de mon âme (2022), il avait déjà sublimé de telles collisions d’âmes, entre des figures solitaires et des rochers au cœur d’or, dans des espaces sensuels où se fondent le minéral, l’organique et le synthétique. Également graphiste et musicien – il travaille sur la musique lente – voilà le réalisateur lancé à toute vitesse avec ce nouveau clip de Minuit Machine, Follower, aussi rugissant que frénétique.
« Faute de moyens je n’ai jamais passé le permis. Pourtant, d’aussi loin que je me souvienne, l’idée de raconter des histoires sous la forme d’un road movie a toujours été présente.
Lorsque Minuit Machine m’a proposé d’imaginer un clip pour leur morceau Follower, j’ai compris que le moment était venu. En écrivant le scénario, Kerr Smith & Brendan Fehr dans The Forsaken me sont immédiatement venu à l’esprit. Ce road-trip poisseux dans le désert de l’Arizona a longtemps hanté mes nuits et j’ai souhaité lui rendre hommage. Il y a une difformité dans chacun de mes personnages, principalement chez Démétrius (incarné par Mathis Chevalier) qui fait penser à JohnathonSchaech dans The Forsaken ou The DoomGeneration. »
« Ce clip transpire Dance of the Dead de Tobe Hooper, c’est indéniable, je ne compte plus les fois où je l’ai vu. Au même titre que Blair Witch 2 : The book of shadows, ce film fait partie de mon ADN. Les séries B représentent beaucoup pour moi. Ils ont bercé mon enfance puis mon adolescence et m’accompagnent encore aujourd’hui. Je les trouve parfois plus humains que les humains. Malgré leurs imperfections, les montages foireux, le manque de moyen flagrant, je les aime profondément. »
« Follower a été pensé comme un film. Il s’ouvre sur Amandine et Poyo (Paulo Gatabase). Iels sont les protagonistes principaux, à qui il faut s’accrocher tout du long dans cette escapade cruelle, énervée, dissolue. Pendant l’un de leurs échanges, on peut voir une fresque en arrière-plan peinte par Margaux Huijbregts faisant écho à un de mes films [Le Chaos viendra des limbes, ndlr.] qui n’est pas encore sorti, lui-même faisant écho à Quelque chose d’organique de Bertrand Bonello. Dans ce film, Romane Bohringer et Laurent Lucas échangent un baiser. J’ai été profondément marqué par ce baiser. Il dit vrai. Un baiser est ce qu’il y a de plus intime selon moi. Impossible de faker. C’est une vérité échangée entre deux êtres qui acceptent de ne plus travestir la réalité. »
Le chaos viendra des limbes © Romain Guédé
« Lorsque je pense à Romane Bohringer, je pense aux Nuits Fauves puis l’instant d’après à feu Cyril Collard fonçant à vive allure dans sa décapotable rouge. L’inconscient joue un rôle important dans mon travail. Je vois des clins d’œil là où, à la base, je pensais qu’il ne s’agissait que d’idées fortuites. »
Les Nuits fauves (1992) de Cyril Collard
« Adolescent, je m’habillais en noir. J’étais gothique. Je le suis toujours je crois. Je m’inspirai des looks que je voyais dans les films, les albums de néo métal, je passais mes après-midi à la fontaine des innocents à Châtelet puis avec mes ami.e.s nous allions au Grouft voler des pendentifs, des bagues armure. C’est à cette période que j’ai découvert The Crow II : City of angels. J’ai été chamboulé par ce film. Chamboulé par Vincent Perez, par sa dangerosité, sa désinvolture lorsqu’il se venge étant lui-même victime de Judah Earl, son attitude punk, sa mélancolie. Chamboulé par Mia Kirshner, par la profonde tristesse qui émane de son regard. Mia Kirshner symbolise pour moi les ténèbres, je l’admire pour ça. Il y a toujours un peu de Sarah (son personnage dans le film) dans chacune de mes histoires.
Lorsqu’il a fallu penser la lumière, The Crow II : City of angels m’est apparu comme une évidence et j’en ai parlé à Nicolas Pradeau qui signe l’image avec son équipe. Il a fait un travail formidable, j’ai été bluffé par le soin et l’attention apportée dans les détails. Je me sens vraiment chanceux qu’il ait accepté de travailler sur ce projet. Lui et toute son équipe. »
Extrait de Maintenant (2017), Le comité invisible
« Il nous faut abandonner l’idée qu’il n’y a de politique que là où il y a vision, programme, projet et perspective, là où il y a une finalité, décision à prendre […] Il n’y a de véritablement politique que ce qui surgit de la vie et fait d’elle une réalité déterminée, et cela naît du proche […] ».
« En ce qui me concerne, le « proche » ce sont les histoires que j’invente, que j’écris, les images que je crée. Longtemps j’ai pensé que lire c’était surtout un moyen de s’évader. Aujourd’hui je les vois comme des outils pour s’armer, s’organiser, faire effraction.
Image (c) Romain Guédé