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MAD MAX: Genèse d’un mythe
- Trois Couleurs
- 2019-03-15
Initiée comme une série B, puis devenue une œuvre culte avant d’être conduite sur la voie du mythe, la destinée de la saga Mad Max est une aventure en soi. À l’occasion de sa renaissance sur grand écran avec Mad Max. Fury Road, retour sur le parcours sinueux des aventures du Guerrier de la route.
L’histoire de Mad Max (1979) tient du miracle. Tout d’abord parce que son réalisateur, l’Australien George Miller, est parvenu à boucler le film avec un budget ridicule. Mais aussi parce que le tournage n’a connu aucun accident grave, alors même que les nombreuses cascades suicidaires qui assurent le spectacle furent conçues dans un amateurisme total. Enfin parce que ce minuscule film, initialement destiné au marché du cinéma d’exploitation, a rencontré à sa sortie un succès fulgurant en Australie, mais aussi à travers le monde. Des États-Unis au Japon, de la France aux pays nordiques, le public s’est rué en masse pour assister à la descente aux enfers de Max Rockatansky, un flic de la route qui perd sa famille, voire son humanité, au cours d’une guerre sans pitié contre un gang de motards. Évidemment, la manière de filmer stupéfiante de George Miller, qui rythmait sa mise en scène sur le tempo du rock ’n’ roll, n’était pas étrangère à ce triomphe. De même, le charisme animal de Mel Gibson, qui faisait ses premiers pas sur grand écran, a fait beaucoup pour la notoriété du film.
Et il ne faut pas sous-estimer l’aspect politique du scénario, qui dans son nihilisme évoque l’Anthony Burgess d’Orange mécanique, et dont la véhémence fut un formidable défouloir pour des générations de spectateurs enragés. Mais George Miller comprend rapidement que l’histoire de Max dépasse très largement le cadre de l’effet de mode, du film de genre efficace ou du brûlot pamphlétaire. Lors d’une conférence à Sydney en 1996, il observe : « Pour les Français, Max était un desperado à moto. Au Japon, c’était un samouraï rejeté par la société. En Scandinavie, un guerrier viking. Partout, ce film a trouvé une résonance particulière dans la culture locale. Sans le savoir, nous avions puisé à la source du mythe du héros universel. »
Jésus Christ en pantalon
Dès lors, Miller se passionne pour ce personnage de vengeur en passe de devenir une légende. Pour la suite, mise en chantier deux ans plus tard, le cinéaste et son bras droit de l’époque, Byron Kennedy, se replongent dans les écrits de Carl Gustav Jung et, surtout, dans le travail de Joseph Campbell sur le monomythe. Cet anthropologue américain, dont l’essai de mythologie comparée Le Héros aux mille et un visages a déjà influencé George Lucas pour Star Wars, a dégagé à travers les légendes du monde entier des schémas récurrents qui répondraient à des obsessions, des peurs ou des espoirs universels. Radicalement différent du premier film, Mad Max 2. Le défi, sorti fin 1981, va donc tenter de distiller l’essence du personnage en le débarrassant des oripeaux narratifs du premier opus. Ainsi, alors que le scénario du premier Mad Max multipliait des pistes pas toujours abouties, les péripéties de la suite sont simplifiées à l’extrême : Max doit sauver quelques survivants des griffes d’une horde de barbares. Le héros très humain du premier film (il a des amis, une famille, des soucis au travail) est cette fois un être solitaire, laconique, pour tout dire mystérieux. Et le décor de ses aventures passe de la variété de la campagne australienne (l’action du premier opus se déroule dans des champs, des villages et des forêts) à la simplicité d’un désert traversé par une route.
Plus éloquent encore, Mad Max 2. Le défi est narré par un vieillard qui se souvient des exploits de Max comme de ceux d’un héros perdu dans des temps immémoriaux, un justicier qu’il surnomme le Guerrier de la route. Aux États-Unis, Mad Max 2. Le défi sort d’ailleurs sous le titre The Road Warrior. Cinéaste jusqu’au-boutiste s’il en est, George Miller va encore plus loin avec le troisième chapitre de sa saga, Mad Max. Au-delà du dôme du tonnerre, qu’il coréalise et coécrit quatre ans plus tard, en 1985. Cette fois, la route, qui était le champ d’action du personnage depuis le premier film, est recouverte par un désert qui semble infini, et la très culte voiture noire du héros n’apparaît jamais à l’écran, au grand dam des fans de la première heure. La conceptualisation de Max est si extrême que le personnage arbore une silhouette messianique : il porte les cheveux longs, et une toge en lambeaux recouvre son uniforme élimé. Le coscénariste du film, Terry Hayes, présente d’ailleurs à Mel Gibson cette nouvelle déclinaison comme un « Jésus Christ en pantalon de cuir ».
Le film prive également Max de son identité civile. Non seulement personne ne l’appelle par son prénom, mais de plus, lorsqu’il devient le sauveur d’une tribu d’enfants sauvages, il écope du surnom de Capitaine Walker, une façon pour Miller de signifier que cette figure héroïque transcende la franchise. Film mal aimé, l’étrange Mad Max. Au-delà du dôme du tonnerre met un coup d’arrêt à la série pendant presque trente ans, jusqu’à un retour inespéré avec Mad Max. Fury Road. S’il semble renouer avec les poncifs des premiers opus (course poursuite, décor désertique, hordes de barbares), ce film marque également la rupture la plus radicale de la saga en donnant le rôle de Max à un nouveau comédien, Tom Hardy. Miller adapte ainsi le personnage à une nouvelle époque (Mad Max. Fury Road devrait amorcer une seconde trilogie) et montre que Max peut survivre à tout, même à son enveloppe charnelle. Le mythe du guerrier de la route est donc bel et bien immortel.