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PORTFOLIO · Dean Talouvaris, le goût du risque

  • Joséphine Leroy
  • 2022-12-09

La villa (voir photo ci-dessous) qui part en fumée en plein désert dans « Zabriskie Point » de Michelangelo Antonioni (1970), c’est lui qui l’a fabriquée. À l’image de cette scène onirique explosive, l’immense chef-décorateur américain Dean Tavoularis a toujours avancé en terrain miné pour concrétiser les idées de cinéastes à l’ambition démesurée. Grâce à son sens de l’espace et du détail, il a alimenté la grande machine à rêve du Nouvel Hollywood, en donnant matière à la fuite vrombissante des amoureux criminels de « Bonnie and Clyde » d’Arthur Penn (1968) ou aux dédales mentaux sinueux des héros d’« Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola (1979). Installé en France depuis des années, celui qui a pris sa retraite du cinéma au début des années 2010 a inspiré « Conversations avec Dean Tavoularis », un livre dense et richement illustré signé par le critique américain Jordan Mintzer. On a rencontré l’artiste dans son atelier du XVIIe arrondissement, au milieu de ses pinceaux et de ses tableaux. Autour d’un verre de whisky, il a commenté quelques images issues du livre – qui toutes témoignent d’un sacré goût du risque.

Photo de la construction de la maison de Zabriskie Point avant l’explosion © Dean Tavoularis papers, Margaret Herrick Library, AMPAS

Photo de repérage de Bonnie and Clyde

© Dean Tavoularis papers, Margaret Herrick Library, AMPAS

« J’ai travaillé sur Bonnie and Clyde d’Arthur Penn [inspiré de personnages réels, le film suit un couple de criminels en cavale et se situe dans les années 1930, ndlr] après avoir quitté Disney [après avoir suivi des cours d’architecture et de dessin, Dean Tavoularis est entré chez Disney, où il a travaillé comme dessinateur, notamment pour La Belle et le Clochard, 1955, et Mary Poppins, 1965, ndlr]. C’est mon premier film comme chef-décorateur. C’était les années 1960, il n’y avait pas de régisseur, donc c’était moi qui devais repérer les lieux de tournage. D’après le script, je devais trouver trente à quarante décors. Je suis allé à Ponder, au Texas. C’était tout nouveau pour moi. On m’a donné une voiture, des clés. Je n’avais aucun repère, aucune aide. Je me sentais perdu. Je partais le matin, je roulais vers le nord, le sud. J’ai fini par trouver des coins désertés, où il y avait un cinéma, un distributeur de soda, un salon de coiffure, des banques… Soit ces lieux étaient restés intacts, soit ils avaient été vandalisés. Il semblait que les gens avaient fui pendant la Grande Dépression [la crise économique qui a frappé le territoire américain, après un krach boursier survenu en 1929, ndlr]. Vous pouviez entrer partout sans problème. Et je me souviens être allé dans une mercerie et avoir ouvert des tiroirs poussiéreux, avec des vêtements dedans. À l’étage du balcon, il y avait les restes d’un ancien cinéma, des posters pliés de films populaires de l’époque. J’en ai pris quelques-uns que j’ai mis dans ma voiture. »

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Concept art pour le temple de Kurtz

© Alex Tavoularis personal collection

« C’est un croquis qui représente le temple de Kurtz dans Apocalypse Now [pendant la guerre du Viêt Nam, ce colonel, incarné par Marlon Brando, devient incontrôlable et se retranche dans un temple. Il est recherché par le capitaine Willard, envoyé là-bas par l’armée américaine, ndlr]. Il a été dessiné par Tom Wright sur un papier qu’on appelle en anglais la “pelure d’oignon”, pour sa transparence, sa légèreté et sa solidité. Avec Gray Frederickson, le producteur, et Francis Ford Coppola [avec qui Dean Tavoularis a collaboré à de multiples reprises, notamment sur la trilogie du Parrain (1972-1991), sur Coup de cœur (1982) ou sur Outsiders (1983), ndlr], on est partis pendant des mois en repérages à Hawaï, en Malaisie, en Australie, à Singapour, en Thaïlande, avant de choisir les Philippines. Au retour, on avait pris rendez-vous avec le ministère de la Défense, au Pentagone, pour qu’il nous prête des hélicoptères. On leur a fait lire le script, et ils ont refusé. Mais le gouvernement philippin nous a aidés. En tout, avec le tournage, et tous les problèmes de moussons qui détruisaient mes décors, j’ai passé deux ans sur ce film. »

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« Dans le film de Michelangelo Antonioni [sur la rencontre d’une étudiante idéaliste et d’un militant plus radical dans la vallée de la Mort, en Californie, pendant les manifestations étudiantes des années 1960, ndlr], il y a un personnage d’entrepreneur immobilier. Pour représenter son bureau, Michelangelo Antonioni convoitait la Richfield Oil Company Building, une compagnie pétrolière à Los Angeles. Le bâtiment [détruit depuis, ndlr] était d’un noir brillant, magnifique, avec des décorations dorées. Il fallait que le bureau ait une vue dessus, donc je demandais aux types qui travaillaient dans les entreprises autour de me faire monter sur leur terrasse. Jusqu’à ce que je trouve le bâtiment avec une vue parfaite sur le Richfield Building. J’ai demandé à la MGM, qui produisait le film et avait une gigantesque usine de fabrication, de construire une plateforme qu’on a installée sur le toit. Comme c’était en décor naturel, j’avais peur qu’une catastrophe ne démolisse tout. Je me rappelle que, en plein milieu de la nuit, on m’a appelé en me disant qu’il risquait d’y avoir une tempête. Je me suis levé et j’y suis tout de suite allé en voiture. En fait, ce n’était rien. »

Plan d’architecture de Zabriskie Point

© Dean Tavoularis papers, Margaret Herrick Library, AMPAS

Conversations avec Dean Tavoularis par Jordan Mintzer (Synecdoche, 352 p., 69 €)

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