D’un côté : Hermes, un enquêteur ultraviolent retranché sur l’île de son enfance après avoir été mis au ban des forces de l’ordre à cause d’une santé déclinante. De l’autre : Primo, un ripou dégénéré tout juste de sorti de prison qui, sujet à des crises de démence, humilie et agresse quiconque aurait la malchance de croiser son chemin. Deux antagonistes et anciens coéquipiers auxquels le film accorde, par le recours au montage alterné, autant de place dans le récit, avant une ultime confrontation à l’issue de laquelle le sang finira par couler.
Le schéma est bien connu des cinéphiles amateurs de thrillers policiers et mafieux, mais dans les mains du cinéaste philippin, lauréat du Lion d’or en 2016 pour La Femme qui est partie, cette ossature familière accouche d’un film déliquescent bien plus proche du cinéma ténébreux et sibyllin de F.J. Ossang que d’un face-à-face opératique signé Michael Mann. Dans un noir et blanc très contrasté où la mer s’apparente à du mazout et la fumée des égouts à des nuages de vapeurs toxiques, les corps dansent et se contorsionnent, bouffis par la haine ou déformés par la maladie. Fidèle à lui-même, Lav Diaz signe un film qui, en dépit d’un trait aride, parvient à envoûter en bout de course, à la tombée de la nuit.