« Se souvenir d’une ville » de Jean-Gabriel Périot : quand la guerre perdure

[CRITIQUE] Après s’être inspiré de l’ouvrage « Retour à Reims » de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot se penche sur la guerre de Bosnie en retravaillant les films amateurs réalisés par de jeunes cinéastes lors du siège de Sarajevo (1992-1996). Un matériel mémoriel que le documentariste confronte intelligemment au présent.


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« Pourquoi la paix ne se laisse-t-elle pas raconter ? » se demandait le poète autrichien Peter Handke, que Wim Wenders cite dans Les Ailes du désir. C’est peut-être la question à laquelle tente de répondre Jean-Gabriel Périot (Retour à Reims. [Fragments] en 2022), en retrouvant, trente ans après, de jeunes cinéastes ayant filmé le siège de Sarajevo de l’intérieur, événement trop vite oublié de l’histoire européenne.

Se souvenir d’une ville commence par un enchaînement froid de films de guerre amateurs en VHS, où l’on voit des scènes de combats, des bals clandestins, des corps mutilés et des témoignages pris sur le vif. Avec cette discrétion habituelle et ce refus de pédagogie qui le caractérisent, Jean-Gabriel Périot fait le choix, comme il l’avait déjà fait dans Une jeunesse allemande (2015), de laisser les images parler avant lui.

Dans une deuxième partie, il confronte les cinq cinéastes qu’il a retrouvés à leurs films, qu’ils revoient sur une tablette dans des lieux où se sont déroulés des combats à l’époque, aujourd’hui méconnaissables. Le dispositif déjoue une certaine idée de la réminiscence réparatrice : après visionnage de leurs films, la majorité des réalisateurs semblent démunis face aux souvenirs qu’ils ont enfouis, oubliés ou durement acceptés au fil du temps.

Un temps qui a inexorablement avancé et les a aussi éloignés de ces images dont ils sont pourtant à l’origine – manière de souligner l’importance historique et mémorielle que représentent les films amateurs en temps de guerre.

« Nos défaites », le documentaire combatif de Jean-Gabriel Périot

En réunissant passé et présent par l’image cinématographique, Jean-Gabriel Périot avance que c’est peut-être le souvenir qui permet le mieux de raconter la paix. Pour Nedim, le protagoniste chez qui l’empreinte traumatique est la plus palpable, c’est parce que « la guerre perdure » chez qui l’a vécue que « la paix telle qu’on la voit au cinéma n’existe pas ».

Se souvenir d’une ville de Jean-Gabriel Périot, Jour2fête (1 h 48), sortie le 13 novembre